La décapitation d’un second soldat libanais, par l’organisation de l’État islamique, le 6 septembre, a provoqué des actes de représailles communautaires, des enlèvements à caractère confessionnel et le tabassage de réfugiés syriens.
Un vent dangereux souffle sur le Liban depuis la diffusion de photos, le 6 septembre, sur Twitter, de la décapitation présumée d’un second soldat de l’armée libanaise par les jihadistes de l’organisation de l'État islamique (EI).
Une semaine après avoir revendiqué l'exécution d'un premier militaire sunnite, la décapitation présumée de ce soldat chiite est un message envoyé aux autorités libanaises. Selon l'EI, le même sort sera réservé aux autres soldats du groupe retenu en otage près de la frontière syro-libanaise depuis début août, si, parmi d’autres exigences, Beyrouth ne libérait pas des détenus islamistes incarcérés au Liban.
Enlèvements à caractère confessionnel
Cet évènement sanguinaire a déclenché une vague de colère et d’actes de représailles intercommunautaires, rappelant les périodes noires de la guerre du Liban (1975-1990). En effet, depuis le 7 septembre, des enlèvements de civils, selon leur appartenance confessionnelle, se sont multipliés dans la plaine de la Bekaa (est), obligeant l’armée à intervenir au cas par cas pour libérer les otages. Ainsi, la famille d’un soldat chiite, que l’EI menace d’égorger, a enlevé deux hommes de confession sunnite et exige la libération de tous les militaires et membres des forces de l'ordre enlevés par les jihadistes.
>> À lire sur France 24 : "Pourquoi l’organisation de l’État islamique séduit plus qu’Al-Qaïda ?"
Le piège de la discorde confessionnelle semble se refermer petit à petit sur le Liban. Un pays déjà miné par des tensions entre sunnites et chiites, que la crise syrienne est venue exacerber. En effet, une partie des sunnites du Liban sympathisent avec les rebelles syriens, alors que les chiites soutiennent majoritairement le régime de Bachar al-Assad.
"La situation est extrêmement dangereuse au Liban dans la mesure où elle peut, à tout moment, échapper à tout contrôle, même à celui des partis libanais. Ces derniers avaient, depuis le début de la crise syrienne [en 2011], réussi à éviter que leurs partisans ou sympathisants ne dérapent sur le terrain", explique à France 24 Amine Kammourieh, analyste politique et journaliste du quotidien libanais de référence "al-Nahar".
Les réfugiés syriens érigés en bouc-émissaires
Dans les régions chiites du pays du Cèdre, la colère et les violences ont également visé les réfugiés syriens, majoritairement sunnites, accusés de soutenir les jihadistes. Tentes brûlées, tabassages, menaces d’expulsion. Ils ont été victimes de nombreuses mesures de rétorsion xénophobes au point que le Premier ministre libanais, Tammam Salam, a appelé ses compatriotes à ne pas se livrer à des actes de vengeance. En vain.
>> À voir sur France 24 : "Ni Bagdad ni les Américains ne viendront à bout de l’EI"
Dans le sud du Liban, à Bourj al-Chemali, près de la ville de Tyr, le maire Ali Dib a confié à l'AFP avoir donné "lundi un ultimatum de 48 heures aux Syriens pour démanteler leur camp de fortune" constitué d'une centaine de tentes. "Nous ne voulons pas de cellules terroristes chez nous. Nous ne les expulsons pas mais nous sommes inquiets pour notre sécurité (...)", a-t-il-déclaré.
Pour Amine Kammourieh, "les problèmes posés au pays par les réfugiés syriens ne sont plus seulement économiques, sociaux ou humanitaires. Ils sont également d’ordre politique et sécuritaire, puisque ces derniers, même s’ils sont innocents, sont désormais la proie de réactions hostiles de la part des Libanais en réponse aux soubresauts du conflit syrien". Selon lui, l’affaire des soldats enlevés est venue s’ajouter à la rancœur de certains Libanais à l’égard des réfugiés syriens, dont le nombre est équivalent au quart de la population du pays du Cèdre.
L’EI gagnant à tous les niveaux ?
"Ce contexte explosif général peut entraîner une déflagration entre Libanais et réfugiés syriens ou entre les Libanais eux-mêmes, sachant qu’un tel climat ne peut que profiter aux mouvements jihadistes tel que l’EI, qui mise sur le chaos pour grossir ses rangs ou gagner du terrain", ajoute l’analyste politique libanais.
À la vue de cette déstabilisation sécuritaire et des tensions confessionnelles, l’EI ne peut en effet que se satisfaire des conséquences des décapitations des soldats libanais. Beyrouth, malgré ses efforts et sa bonne volonté, se retrouve démuni face à cette situation qui ne peut être réglée sans passer par la libération des militaires.
>> À lire sur France 24 : "Le Hezbollah a embarqué l’armée libanaise dans la guerre syrienne"
Un choix cornélien s’impose donc au gouvernement : céder aux exigences des jihadistes pour éviter l’exécution des autres soldats ou se laisser déborder par l’anarchie provoquée par les décapitations au risque de déstabiliser le pays tout entier. Sachant que dans les deux cas, le Liban serait perdant, au contraire de l’EI qui, lui, serait gagnant quelle que soit l’issue de cette affaire. À moins que les médiations en cours, par l’entremise du Qatar, ne viennent mettre un terme à ce feuilleton sanguinaire.