logo

Tour de France : ces forçats qui ont forgé la réputation du Tourmalet

Lors de l'étape du Tour de France entre Pau et Hautacam, les coureurs vont emprunter jeudi le col du Tourmalet à 2115 mètres d'altitude. Emprunté pour la première fois sur la Grande Boucle en 1910, ce lieu a été le théâtre d'incroyables exploits.

Sur le Tour de France, l'ombre des anciens coureurs suit souvent la roue des champions d'aujourd'hui. Au cours de la 18e étape de l'édition 2014 entre Pau et Hautacam, les participants vont avoir une nouvelle fois rendez-vous avec l'histoire. Lors de leur passage à Sainte-Marie-de-Campan, ils vont passer non loin de la statue d'un illustre pionnier de la Grande Boucle, Eugène Christophe, fraîchement inaugurée le 18 juillet dernier. Sur le socle de celle-ci, on peut lire l'inscription suivante : “La volonté est la seule drogue que je connaisse”. Une phrase prononcée par ce coureur en réponse à l'un de ses adversaires qui lui avait demandé pourquoi il n'abandonnait jamais.

Il faut dire que la volonté d'Eugène Christophe a de quoi surprendre. Ce monument a été érigé pour rendre hommage à l'une des pages les plus incroyables du Tour. En 1913, alors âgé de 28 ans, ce cycliste surnommé le “Vieux gaulois” est resté dans les mémoires en faisant preuve d'une détermination à toute épreuve à l'occasion de l'étape entre Bayonne et Luchon. “C'était un coureur de très bon niveau. Il avait gagné de nombreuses courses. Au sommet du Tourmalet, il était en tête de l'épreuve au général, même si le coureur belge Philippe Thys venait de passer juste avant lui le col”, raconte à France 24 Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du Tour et auteur de multiples ouvrages sur l'histoire du cyclisme. “Mais au début de la descente, il a senti sa fourche flottée. Elle venait de rompre à cause des vibrations de la route et des aspérités”.

Il fallait avoir un mental hors norme”

Le membre de l'équipe Peugeot ne se décourage pourtant pas devant ce coup du sort. Il décide de descendre une dizaine de kilomètres jusqu'au village de Sainte-Marie-de-Campan, son vélo sur l'épaule et sa roue à la main. Dans la bourgade pyrénéenne, il demande où se trouve la forge pour pouvoir effectuer lui-même la réparation. “À cette époque là, les coureurs n'avaient pas le droit d'être dépanné”, précise le docteur de Mondenard. Dans la forge, Eugène Christophe passe environ 1h30, sous le regard des commissaires de la course, à remettre d'aplomb son vélo. Il repart ensuite et termine l'étape, même si ses rêves de victoire sur le Tour se sont envolés dans les montagnes. La défaite est amère, mais le souvenir de son exploit ne s'est jamais effacé: “Il fallait avoir un mental hors norme. La majorité des autres concurrents aurait arrêté le vélo et serait monté dans une voiture ! En plus, cela va lui arriver à deux autres reprises à ce brave Christophe. En 1919, il était aussi sur le point de gagner le Tour, mais sa fourche s'est une nouvelle fois cassée. En 1922, lors de la 11e étape dans la descente du col du Galibier, il l'a aussi brisée ”.

Jean-Pierre de Mondenard ne cache pas son admiration face au courage de ces forçats de la route qui ont forgé la réputation du Tourmalet. Leur histoire avec ce col remonte à l'année 1902. Alors que le Tour de France, créé un an plus tard, n'existe pas encore, des premiers cyclistes empruntent cette route qui signifie “mauvais détour” en patois. Ils participent à une compétition organisée par le Touring Club de France : “C'était une course un peu particulière. Chaque constructeur voulait montrer que sa machine était meilleure que celle du concurrent”. En 1910, les organisateurs de la Grande Boucle décident à leur tour d'emprunter ce col qui fait partie du “cercle de la mort” avec ceux du Peyresourde (1569 m), d'Aspin (1489 m) et de l'Aubisque (1709 m). “À l'époque, la presse s'est gargarisée de dire qu'il y avait des ours et des aigles pour faire monter la sauce et pour montrer que les coureurs du Tour étaient des surhommes. Ils disaient aussi que les routes n'existaient pas”, explique le docteur de Mondenard. “Mais cela est faux, il y avait déjà eu des rallyes automobiles qui y étaient passés. Bien sûr, ce ne sont pas les routes d'aujourd'hui, mais ils pouvaient rouler dessus”.

Eugène Christophe raconte ses souvenirs du Tour de France

Vous êtes des criminels”

Les gros titres de l'époque abusent en effet du côté sensationnel pour gagner des lecteurs et populariser cette nouvelle épreuve cycliste. Selon la légende, popularisée par le journal "l'Auto", ancêtre de "l'Équipe", le vainqueur de cette étape de 1910, Octave Lapize aurait ainsi déclaré au bout de la souffrance aux organisateurs : "Il y a que vous êtes des criminels. On ne demande pas à des hommes de faire un effort pareil”. La légende était née. L'engouement pour les routes pyrénéennes n'a depuis jamais faibli : “La grande montagne est vraiment apparu avec le Tourmalet. La longueur des cols et l'accumulation des difficultés ont tout de suite impressionné les foules. Les gens avaient alors du mal à accomplir des distances très importantes. Voir ces cyclistes qui faisaient le Tour de France avec des étapes supérieures à 300 km, cela fascinait le public”.

Les vrais légendes, ce sont les pionniers”

De grands noms ont continué à façonner le mythe au fil des décennies. Jean-Pierre de Mondenard se souvient tout particulièrement de la démonstration de puissance du Belge Eddy Merckx en 1969, qui disputait alors son premier Tour de France: “Son coéquipier Van Den Bossche était en tête, mais il décide de le rattraper car il a appris qu'il avait signé pour une autre équipe l'année suivante. Merckx passe alors en tête. Dans la descente, il attend les poursuivants, mais comme ils tardent à venir, il se dit banco et va au bout. Il fait 140 kilomètres d'échappée et arrive avec 7min56 d'avance. (…) C'est en raison de ses exploits multiples, qu'il va être surnommé le cannibale”.

Ce passionné de cyclisme, qui compte lui-même 300 000 km à vélo à son actif, jette toutefois un regard moins admiratif sur les plus récentes années. Spécialiste reconnu de la lutte antidopage, il différencie clairement les champions d'hier et d'aujourd'hui : “En 1910, il n'y avait pas beaucoup de moyen d'améliorer la performance. L'exploit était authentique alors que dans les années 90, ce n'était pas pareil, ils étaient favorisés. Bien sûr, quand Richard Virenque passait en tête, il était le meilleur dans cette épreuve car les autres carburaient au même produit, mais les vraies légendes ce sont les pionniers qui ne savaient pas où ils allaient. C'était l'aventure quand ils embarquaient dans une étape”. Cent-quatre ans après le premier passage du Tour dans le col du Tourmalet, Jean-Pierre de Mondenard place toujours cette course au sommet de son panthéon sportif: “Jusqu'à ce jour, il n'y a pas eu d'étapes plus difficile que Bayonne-Luchon”.