
Le commentateur et analyste politique Sami Hamdi s'exprime lors du gala annuel de la section californienne du Conseil sur les relations américano-islamiques (Cair), le 12 octobre 2024, à Los Angeles. © Cair California
Il devait embarquer pour Los Angeles lorsqu’il a été interpellé. Sami Hamdi, commentateur politique britannique, est détenu depuis dimanche dans un centre de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) en Californie. Selon l’administration américaine, son visa a été révoqué pour des raisons de "sécurité nationale" liées à ses prises de position sur le Moyen-Orient.
D’après l’ICE, Sami Hamdi était entré aux États-Unis le 19 octobre avec un visa de visiteur. Cinq jours plus tard, le Département d’État révoquait ce visa avec effet immédiat. "Sous la présidence de Donald Trump, ceux qui soutiennent le terrorisme et compromettent la sécurité nationale américaine ne seront pas autorisés à séjourner dans ce pays", a justifié Tricia McLaughlin, porte-parole du Département de la Sécurité intérieure, sur X. Mais aucun élément concret n’a été fourni pour justifier la mesure.
En pleine tournée de conférences à travers plusieurs États américains, Sami Hamdi venait tout juste de participer au gala annuel de la section de Sacramento du Conseil sur les relations américano-islamiques (Cair), l’une des principales organisations musulmanes du pays. Le lendemain, alors qu’il se trouvait à l’aéroport de San Francisco pour prendre un vol vers Los Angeles, étape d’un déplacement prévu à Tampa le soir-même pour un événement similaire, il a été arrêté par les autorités.
Le Cair a immédiatement saisi la justice, déposant une requête en habeas corpus et une demande de mesure d’urgence pour empêcher le transfert du détenu loin de ses avocats. "Hamdi reste déterminé à défendre la liberté d’expression, les droits humains et une politique étrangère juste", a déclaré mardi le Cair dans un communiqué, précisant que ses avocats avaient pu rencontrer leur client en détention. "Nous encourageons une fois de plus le Département d'État et l'ICE à cesser d'enlever des journalistes, des étudiants et d'autres personnes munies de visas valides, au motif qu'ils critiquent le génocide commis par un gouvernement étranger."
"Personne ne dit que le 7 octobre était justifié"
Basé à Londres, Sami Hamdi, 35 ans, est directeur général du cabinet de conseil The International Interest, spécialisé dans les risques politiques et la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Il intervient régulièrement comme commentateur sur Sky News, Al Jazeera, BBC ou TRT World, et collabore avec plusieurs médias britanniques, dont Middle East Eye. Diplômé en droit de la prestigieuse School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, il est aussi un conférencier régulier à l’international, de la Malaisie à la Turquie, en passant par l’Afrique du Sud et les États-Unis.
Dans une interview accordée en juin 2025 à The Voice of Cap, une radio communautaire musulmane sud-africaine, Sami Hamdi confiait que son engagement politique lui vient de son père, Hechmi Hamdi, militant tunisien contraint à l’exil. "Mon père a été condamné à vingt ans de prison pour son activisme politique et a dû fuir la Tunisie (...) avant de s’installer à Londres. Il est ensuite devenu une figure de proue de la lutte contre les régimes dictatoriaux en Tunisie, et j'ai grandi dans ce contexte, même si, au départ, je voulais devenir footballeur", racontait-il.
Ses critiques virulentes d’Israël lui valent de nombreuses attaques sur les réseaux sociaux, certains l’accusant d’avoir fait l’éloge des massacres du Hamas du 7 octobre 2023 dans une vidéo publiée peu après le début de la guerre à Gaza. Des accusations qu’il réfute. "Personne ne dit que le 7 octobre était justifié. Les gens disent que c’était une conséquence naturelle de l’oppression exercée sur les Palestiniens", déclare-t-il dans un discours en février 2024.
Parmi les premières personnes à revendiquer son arrestation figure Laura Loomer, militante d’extrême droite connue pour ses propos islamophobes et complotistes. Sur X, elle s’est félicitée que "les responsables américaines aient agi après [sa] pression incessante sur le [département d'État] et le ministère de la Sécurité intérieure", accusant Sami Hamdi d’être "lié au terrorisme islamique" et de "soutenir le Hamas".
Candidate malheureuse à deux reprises au Congrès, Laura Loomer s'est aussi attaquée à Zohran Mamdani, candidat à la mairie de New York, en affirmant qu’il "s’associe à des partisans du Hamas et des Frères musulmans, et à des gens comme Hamdi, qui ont applaudi les attaques terroristes islamiques du 7 octobre."
Indignation au Royaume-Uni et appels à sa libération
L'interpellation de Sami Hamdi a provoqué une vive réaction au Royaume-Uni, où plusieurs personnalités ont dénoncé une arrestation "politique". Aux côtés de plusieurs députés, dont l'ancien chef du Labour Jeremy Corbyn, le député indépendant Adnan Hussain a exhorté le gouvernement britannique à "faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer son retour immédiat et en toute sécurité auprès de sa famille". Une pétition en ligne demandant sa libération a déjà recueilli plus de 100 000 signatures.
Son père, devenu riche homme d’affaires et propriétaire de la chaîne Al Mustaquilla, a aussi réagi sur les réseaux sociaux : "Sami n’est pas un extrémiste : c’est un journaliste et un analyste politique qui prône le dialogue, le respect et la dignité humaine." Le jour de son arrestation, Hechmi Hamdi avait déjà déclaré : "J’affirme sans équivoque qu’il n’a aucune affiliation avec les Frères musulmans ou tout autre groupe politique ou religieux."
La détention de Sami Hamdi est le dernier exemple en date de l'offensive de Donald Trump visant à identifier et potentiellement expulser des milliers d'étrangers aux États-Unis qui, selon lui, ont soit attisé ou participé à des troubles, soit publiquement soutenu des manifestations contre la guerre à Gaza.
Le cas de Sami Hamdi rappelle celui de Mahmoud Khalil, leader du mouvement de contestation propalestinienne de l'université Columbia, à New York, arrêté en mars, ou encore la révocation du visa du président palestinien Mahmoud Abbas avant l’Assemblée générale de l’ONU. En septembre, un juge fédéral nommé par Ronald Reagan, William Young, a fustigé ces pratiques dans une décision de 161 pages, les qualifiant d’"attaque en règle contre le Premier Amendement", garant de la liberté d’expression. La décision est en attente d’appel.
Dans l’attente d’une audience devant un juge de l’immigration, Sami Hamdi demeure détenu dans le centre de Golden State Annex, dans la ville californienne de McFarland, selon le Cair. Ses proches espèrent qu’il sera relâché avant son expulsion. "Je vous assure que vous avez visé la mauvaise personne", répète son père. "C'est une grave injustice contre mon fils."
