logo

Alstom : et si l’État avait réussi son coup ?

Manuel Valls s’est félicité, vendredi, du rôle joué par le gouvernement dans le dossier Alstom tandis que les dirigeants de Siemens, Mitsubishi et General Electric passent un grand oral devant François Hollande. Une victoire du pouvoir politique ?

Ils ont tous mis sur la table des “offres améliorées”. Depuis le début du feuilleton Alstom, l’Allemand Siemens, associé depuis peu au Japonais Mitsubishi, tout comme l’Américain General Electric (GE) n’ont pas hésité à surenchérir pour remporter la mise. Dernier acte de l’opération séduction de ces groupes étrangers : une rencontre, vendredi 20 juin, avec le président français François Hollande. Alstom se retirera ensuite dans ses quartiers pour le week-end avant de rendre sa décision lundi.

Que l’affaire s’achève, sauf rebondissement, par un petit tour à l’Élysée n’est pas anodin. Le grand oral des différents dirigeants d'entreprise devant le président dénote du poids que l’État français a tenté de peser sur ce dossier. Alors même qu’Alstom est une entreprise 100 % privée. “D’un point de vue purement financier, le gouvernement n’a pas son mot à dire dans cette négociation”, expliquait en avril dernier Pascal de Lima, économiste en chef pour le cabinet d’études EcoCell.

Le gouvernement a fait jouer la concurrence

Le gouvernement semble pourtant satisfait de l’évolution de la situation. Le Premier ministre, Manuel Valls, a rappelé, sur les ondes de France Inter, vendredi 20 juin, que sans intervention de l’État, les activités énergies du groupe français seraient depuis des mois détenues “sans conditions” par GE.

“C’est clair que les offres ont l’air meilleures qu’au départ”, reconnaît Marc Ivaldi, expert en économie industrielle à la Toulouse School of Economics. Siemens-Mitsubishi ainsi que GE ont augmenté les sommes qu’ils mettaient sur la table pour acquérir la branche énergie d’Alstom. Les deux camps ont promis de “préserver” l’emploi au moins trois ans et même de créer des postes en France. Enfin, ils ont tous donné des gages à l’État pour qu’il conserve un droit de regard sur les décisions affectant les activités jugés “stratégiques” pour le pays.

Le gouvernement, souvent critiqué pour ses interventions dans le champ économique, aurait-il réussi son coup cette fois ci ? “Le fait que le dossier a été rendu public par le pouvoir politique a pu décider Siemens à faire une offre”, souligne Jean-Luc Gaffard, directeur du département Innovation et Concurrence de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L’État aurait donc, essentiellement, mis en branle la machine à concurrence. Mais une fois que les boxeurs se sont retrouvés sur le ring, l’amélioration financière des offres “résulte du jeu normal de la surenchère”, estime Marc Ivaldi.

Ce qui est bon pour le gouvernement, l'est-il pour Alstom ?

Les engagements sur l’emploi et la préservation des intérêts de la France sont, en revanche, clairement des concessions. Mais elles ne sont pas, forcément, des victoires pour Alstom. “Cela ne coûte pas cher de faire des promesses sur l’emploi, mais qu’en restera-t-il s’il y a une nouvelle crise ou une dégradation de la situation économique de l’entreprise ?”, remarque Marc Ivaldi. Même son de cloche chez Jean-Luc Gaffard : “Une entreprise ne peut pas, sur ce genre de questions, se lier les mains sur le long terme”.

Quand à la préservation des intérêts nationaux après la cession des actifs d’Alstom, elle doit se traduire, dans chacune des offres, par la création de co-entreprises et la mise en place de participations croisées. Et ce pour que l’État conserve un droit de regard, voire un “droit de veto” dans l’offre de General Electric. “Le risque avec ce genre de partage des responsabilités est qu’au final l’organisation devienne plus compliquée et moins efficace”, note Marc Ivaldi.

L’épisode montre que l’État a, d’après Jean-Luc Gaffard, su “jouer le rôle de pompier qui a amélioré la situation” financière pour Alstom. Mais le grand projet du gouvernement, profiter du démantèlement d’Alstom pour créer une sorte d’Airbus européen du transport et de l’énergie, a, selon les deux économistes, “clairement échoué”.