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L’avancée fulgurante des djihadistes de l'EIIL en Irak, mais aussi dans l’est de la Syrie, pose la question de l'origine de leur financement. Certains évoquent un rôle de l’Arabie saoudite. La réalité est plus complexe.

L'Arabie saoudite soutient-elle l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) ? A-t-elle facilité les dernières victoires militaires du groupe en Irak ? C'est ce qu'affirment aujourdhui les spécialistes qui accusaient déjà la monarchie saoudienne de financer l’EIIL en Syrie.

Ces accusations s’appuient sur un argumentaire désormais "classique" rappelant le rôle de Riyad en Afghanistan lors de la guerre entre les moudjahidines et l’armée soviétique (1979 - 1989) en concertation avec Washington. Même l’embryon d’Al-Qaïda, Maktab al-Khadamat créé par Abdullah Azzam et par Oussama Ben Laden, avait bénéficié indirectement de cette aide. Peut-on pour autant en conclure que Riyad et Washington étaient les commanditaires des attentats du 11 septembre 2001 ? Non.

S’il est certain que l’Arabie saoudite a aidé et soutenu des groupes et des factions djihadistes en Syrie, on ne peut pas non plus en conclure que Riyad est aujourd’hui le commanditaire de l’expansion territoriale de l’EIIL des deux côtés de la frontière. La monarchie saoudienne et ses services ont joué un rôle déterminant dans la création et le financement des "forces d’éveil" (Sahwat) sunnites en Irak dans le but de combattre Al-Qaïda en Mésopotamie et son émanation, l’État islamique. De même qu’en Syrie, Riyad soutient directement et exclusivement les factions syriennes qui combattent l’EIIL depuis plus de six mois.

Depuis 2003, la monarchie saoudienne est engagée dans une stratégie de lutte et d’endiguement des mouvements djihadistes à l’intérieur et hors de ses frontières. On le voit à ses efforts pour chasser Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) de son territoire et à la combattre au Yémen voisin. Les médias saoudiens sont, eux aussi, en guerre ouverte contre Al-Qaïda et contre l’EIIL. Les autorités religieuses saoudiennes édictent quasi quotidiennement des "fatwas" interdisant à leurs compatriotes de rejoindre les groupes djihadistes. Quant aux prisons saoudiennes, elles débordent de djihadistes de retour au pays, d’aspirants djihadistes et même de sympathisants à la cause du djihad n’ayant aucun lien avéré avec une quelconque organisation.

Quel est l’avis des djihadistes saoudiens ?

Premiers concernés par ce soutien présumé, les djihadistes saoudiens ont un avis bien tranché sur le rôle joué par les autorités de leur pays natal. Qu’ils soient dans les rangs d’Al-Qaïda ou de l’EIIL, les djihadistes originiares d’Arabie saoudite rejettent la qualification de "saoudien", ils se disent "de la péninsule arabique" (Jazraoui) et renient en bloc leur nationalité saoudienne. Cette réalité se reflète clairement dans les vidéos et communiqués officiels de l’EIIL, le dernier en date étant "Le choc des épées 4" (Salil al-Sawarim 4). Dans cette vidéo de propagande, on voit des djihadistes de différentes nationalités déchirer et brûler leur passeports, parmi eux des Saoudiens, des Kosovars, des Tunisiens etc...

L’EIIL est un "électron libre" autosuffisant

Aujourd’hui l’EIIL a tous les atouts d’un État, un peu à la manière des Taliban avant lui. L’EIIL contrôle désormais un immense territoire à cheval entre la Syrie et l’Irak, des ressources pétrolières très importantes. Cela va de pair avec une armée qui s’est avérée efficace et professionnelle et surtout une assise populaire non négligeable, comme on a pu l’observer lors de la conquête de Mossoul, ainsi qu'à Fallouja où les djihadistes de l’EIIL se maintiennent depuis plus de six mois.

L’EIIL ne se contente plus d’actions militaires ou terroristes ; il cherche à "gagner les cœurs et les esprits" en s’octroyant les prérogatives des États qu’il cherche à remplacer, en Syrie ou en Irak. À Fallouja comme à Raqqa ou Mossoul, les administrations fonctionnent, un système judiciaire et une police islamique ont été mis en place, les impôts sont collectés. Un bureau pour la protection du consommateur a même été ouvert à Raqqa.

Le fait que l’EIIL s’arroge toutes ces prérogatives civiles et militaires représente une véritable menace pour les monarchies du Golfe comme pour tous les régimes de la région. Ainsi, si certains États ont pu, à un moment, fermer les yeux sur la montée en puissance de l’EIIL en Syrie, aujourd’hui, avec l’effacement de la frontière syro-irakienne, la donne a changé.