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Lynchage d'un jeune rom : "Une justice de rue s’est instaurée"

Un adolescent rom a été lynché le 13 juin à Pierrefitte, en banlieue parisienne. Un acte d’une violence inouïe, révélateur, selon les associations, du désengagement de l’État et d’une stigmatisation accrue de cette communauté.

Il s’appelle Darius, il a 16 ans. Depuis cinq jours, cet adolescent se trouve entre la vie et la mort. Membre de la communauté rom, il a été lynché dans une cave de Pierrefitte-sur-Seine, en région parisienne, vendredi 13 juin dans la soirée. Selon les premiers éléments de l’enquête, un groupe de jeunes serait descendu dans le bidonville où Darius vivait avec sa famille depuis trois semaines, près de la cité des Poètes, l’a arraché à son logement, enfermé dans une cave, passé à tabac, puis laissé pour mort dans un caddie, le long de la nationale 1. Le jeune homme était soupçonné d'avoir cambriolé un appartement dans la cité. 

La scène est d’une violence rare. Le groupe de 200 Roms, qui occupait un terrain depuis le mois de mai, ont dit aux aides humanitaires avoir entendu des coups de feu. Difficile de démêler le vrai du faux, après le choc de l'agression. Terrorisés, ils ont fui dans la nuit, laissant le peu qu’ils possédaient sur le terrain insalubre de Pierrefitte. Devant leurs baraques de bois - sans eau, sanitaires, ni électricité - restent des miroirs cassés, des poupées gribouillées, des couvertures... Autant de signes qui témoignent d’un départ à la hâte.

"Ils sont sous le choc. Un tel degré de violence a crée une panique généralisée, ils ont fui aussitôt", explique Livia Otal, coordinatrice de la mission Rom de Médecins du Monde (MDM) à FRANCE 24. Le stress, ajoute-t-elle, a provoqué des contractions anticipées chez l’une des femmes du groupe, enceinte de plusieurs mois.

"Un acte de barbarie"

"Il s'agit d'un acte de barbarie, un lynchage, imputable à un groupuscule d'individus. Le mobile, c'est la vengeance privée" fondée sur la "rumeur", a expliqué la procureure de la République, Sylvie Moisson, lors d'une conférence de presse, le 17 juin. Le jour du lynchage, un cambriolage a eu lieu dans un appartement de la cité des Poètes, confirme la magistrate. La description du cambrioleur, mis en fuite par un témoin, correspondait plus à moins à celle de Darius. Il n’a pas fallu plus de preuves pour alimenter la fureur collective.

Après l'enlèvement, la mère de Darius a reçu deux appels provenant du téléphone de son fils. Les ravisseurs demandaient une rançon de 15 000 euros, puis une autre de 5 000 euros. Trois quarts d’heure plus tard, le corps de Darius était retrouvé, couvert d’ecchymoses, portant à la tête des marques de coups violents. Le jeune homme a été hospitalisé, souffrant "de lésions crâniennes cérébrales importantes, qui engagent toujours son pronostic vital". "Le corps médical ne peut toujours pas se prononcer sur l'évolution de sa situation de santé", a poursuivi Sylvie Moisson.

Une enquête a été ouverte pour "tentative d'homicide volontaire en bande organisée, enlèvement et séquestration en bande organisée". Les auteurs encourent la réclusion criminelle à perpétuité. L'audition des témoins et l'exploitation des images des caméras de vidéosurveillance situées à proximité sont en cours, a précisé la procureure, qualifiant l'enquête de "complexe" avec des familles "terrorisées".

Violence accrue à l’égard des Roms

Tandis que Darius reste plongé dans un coma artificiel à l’hôpital Lariboisière, à Paris, sa famille et le reste du groupe, qui s’est probablement dispersé, errent entre Aubervilliers et Saint-Denis, à la recherche d’un nouveau terrain. Avant Pierrefitte, ils avaient déjà été expulsés par la police d’un terrain à Aubervilliers, en février dernier. Une attitude des pouvoirs publics que déplore, auprès de FRANCE 24, Jean-François Corty, directeur des opérations France de Médecins du Monde : "La destruction des bidonvilles et les expulsions sans alternative de relogement laissent les gens à la rue, en proie à de nouvelles violences et harcèlements. Ce n’est pas en expulsant qu’on va lutter contre les stéréotypes".

Le lynchage de Darius est révélateur, selon les associations de défense de droits de l’Homme, d’une violence accrue à l’encontre des Roms. En octobre 2012 à Marseille, un groupe avait été chassé de son campement sous la pression d'habitants hostiles, qui avaient brûlé les résidus du camp. En mai 2013, des familles roms avaient été agressées sur une aire d'accueil, à Hellemmes (Nord). À Paris, la justice a relaxé en mai un homme soupçonné d'avoir jeté de l’acide sur le matelas que des Roms avaient installé près de son domicile. La semaine dernière à Saint-Denis, un homme excédé a enfermé un groupe sur un terrain grillagé qui lui appartenait.

"Ce fait divers est la terrifiante conséquence de plusieurs années de politiques publiques inefficaces et de prises de paroles d’élus, de représentants de l’État mais aussi de nombreux médias entretenant un climat malsain", a réagi Romeurope, mardi, dans un communiqué. Le collectif qui milite pour les droits des populations roms demande une "réaction forte" des autorités. Même son de cloche de la part de Jean-François Corty, aussi las qu’excédé : "On ne doit pas se satisfaire d’annonces à chaud et d’une gestion politique à la petite semaine. Il faut un changement de politique radical, une action qui s’inscrive dans la lutte contre la pauvreté et la résorption des bidonvilles".

La spirale de la précarisation

Depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, la situation des Roms ne s’est guère améliorée. Entre 2012 et 2013, le nombre d’expulsion de campements a doublé, selon le décompte de la Ligue des droits de l’Homme publié en janvier dernier. Mercredi matin encore, les forces de l’ordre ont évacué un campement sauvage abritant environ 400 personnes dans le XIIe arrondissement de Marseille. Les acteurs de terrain eux-mêmes font le constat de ce climat tendu : "La tension a augmenté. Les expulsions se sont multipliées et la vigilance policière s’est accrue pour empêcher les Roms de s’installer. Il y a une telle instabilité qu’il devient même très compliqué de les aider et de leur apporter des soins", constate Livia Otal, coordinatrice de MDM.

Les conditions de vie de la communauté rom, qui représente environ 17 000 personnes réparties dans près de 400 bidonvilles en France, ne cessent de se dégrader. Ballotés au gré des expulsions, condamnés à une errance forcée, les Roms se retrouvent dans une "spirale de la précarisation", selon Jean-François Corty. Cette misère ne fait, selon lui, qu’entretenir le racisme et la colère des riverains qui en viennent à faire justice eux-mêmes. Aussi peu surpris de ce qu’il s’est passé à Pierrefitte qu’inquiet, ce travailleur social redoute les mois à venir : "Ce qu’il s’est passé à Pierrefitte était prévisible. Une justice parallèle s’est instaurée et si rien ne change, cela va recommencer, encore et encore. Et maintenant, on parle d’un danger de vie ou de mort".

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