Les autorités russes ont publiquement souhaité rebaptiser la ville de Volgograd en Stalingrad, dont la bataille fut un tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale. Un acte de patriotisme qui ne plaît pas à tous les Russes.
C’est un changement toponymique qui serait tout un symbole. Samedi 7 juin, le vice-Premier ministre russe Dimitri Rogozine a publiquement appelé, sur son compte Twitter, à rendre à Volgograd, son nom d’antan : Stalingrad. En pleine commémoration du 70e anniversaire du D-Day, la proposition ne pouvait pas passer inaperçue.
Le président Vladimir Poutine a d’ailleurs répondu plutôt favorablement à cette requête. Lors de son déplacement en Normandie, vendredi, il a rassuré un ancien combattant soviétique qui l’interrogeait à ce propos. "Un changement d'appellation d'une ville relève, conformément à nos lois, de la compétence de la région et de la municipalité", lui a expliqué le chef du Kremlin, tout en soumettant l’idée d’un référendum. "Et puis, ce n’est pas moi qui l’ai débaptisée…", a-t-il ajouté, voilant à peine son désir de restituer le nom du Petit père des peuples à la ville. La cité a en effet pris le nom de Volgograd en 1961 à la demande de Nikita Khrouchtchev dans le cadre de la déstalinisation entamée en 1956.
I've never doubted the need to return the name to great Stalingrad http://t.co/NFGy8yYNnJ Not for the sake (cont) http://t.co/omFYWX2iCf
— Dmitry Rogozin (@DRogozin) 7 Juin 2014En quête de symboles patriotiques forts
Dans l’esprit collectif, Stalingrad reste indéniablement associé à un symbole international de la victoire alliée sur le nazisme. Les soldats de l’Armée rouge avaient, il est vrai, prouvé au monde, entre l’été 1942 et l’hiver 1943 – et au terme d’une bataille sanglante -, que la Peste brune [les nazis, NDLR] n’était pas invincible. En février 1943, la Wehrmacht connaissait sa première défaite. Pas étonnant, donc, que les Russes "à la recherche d’une nouvelle idéologie patriotique", selon les termes de "Courrier International", souhaitent aujourd'hui réaffirmer à travers l’aura de cette bataille la grandeur de leur nation.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les autorités russes évoquent une restitution du nom de Staline à la ville de la Volga. En mai 2011, déjà, lors d'une visite à Volgograd, Vladimir Poutine alors Premier ministre – et toujours en quête de symboles patriotiques forts - avait lâché une petite phrase qui n’avait pas laissé indifférent les commentateurs politiques. "Comment pourrions-nous vaincre sans Stalingrad ?", avait-il déclaré en allusion à la ville candidature de Volgograd qui doit accueillir des matchs de la Coupe du monde de football 2018, organisée en Russie.
En janvier 2013, les autorités de Volgograd ont même voté un texte selon lequel la ville retrouve six jours par an son ancien nom - dont le 9 mai, date à laquelle la fin de la guerre est commémorée en Russie.
60 % des Russes ne souhaitent pas un retour à "Stalingrad"
Pourtant, un tel changement d’identité ne plaît pas à tous. Selon un sondage réalisé en 2012 par l’institut indépendant Levada, 60 % des Russes n’étaient pas favorables à cette idée. Certains en effet voient moins dans cette nouvelle dénomination la victoire alliée sur le nazisme que les répressions sanglantes du dictateur communiste.
Un argument qui ne convainc pas les pro-Stalingrad. Pour le porte-parole de l'église orthodoxe russe Vsevolod Chaplin, ce nom est intrinsèquement lié à l’histoire de la Russie et non à une personnalité politique. "Le mot de Stalingrad a déjà une vie propre, indépendante du nom de Staline. Elle est associée à la victoire dans une bataille célèbre, qui porte une certaine partie de notre histoire", a déclaré Vsevolod Chaplin, cité par l’agence Interfax. Même son de cloche du côté de l’écrivain Nikolai Starikov – qui milite pour la réhabilitation de Staline. Changer le nom de Volgograd favoriserait, selon lui, "l’affirmation de la place de la Russie sur la scène mondiale".
Mais surtout, à quelques années de la Coupe du monde 2018, un retour à "Stalingrad" pourrait servir les intérêts commerciaux de la Russie. "Cela ne servirait pas seulement à encourager les nouveaux patriotes souverains russes mais aussi à inscrire cette Coupe du monde dans les esprits de la planète, car à l’étranger, presque tout le monde a entendu parler de Stalingrad mais quasiment personne, hélas, ne connaît Volgograd", déplore Andreï Serenko, un journaliste russe, cité par "Courrier international".