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Julian Assange a révélé ce que Glenn Greenwald n’avait pas voulu dire pour des raisons de sécurité : outre les Bahamas, la NSA écoute et enregistre toutes les conversations téléphoniques de l’Afghanistan, d’après le fondateur de WikiLeaks.

À 8h36 vendredi 23 mai, les habitants des Bahamas ne se sont plus sentis tous seuls face aux grandes oreilles de la NSA. WikiLeaks a, en effet, affirmé que l’Afghanistan était l’autre pays dont toutes les communications téléphoniques sont enregistrées et archivées par les cyberespions américains. Une opération, baptisée SOMALGET, mise en place par la NSA depuis au moins 2010.

Julian Assange, fondateur du célèbre site spécialisé dans la publication de documents confidentiels, est donc allé plus loin que le journaliste Glenn Greenwald, responsable de la plupart des révélations sur la NSA. Ce dernier, à l’origine du scoop, mardi 19 mai, sur la mise sur écoute des Bahamas, avait volontairement tu le nom du deuxième pays concerné, désigné “pays X” dans son article. Il avait jugé que lever le voile sur l’identité de la deuxième cible de SOMALGET risquait de se traduire par un “regain de violence” dans ce pays.

Ce choix avait provoqué l’ire de WikiLeaks et déclenché un échange acerbe sur Twitter entre les responsables du site et Glenn Greenwald. L’organisation de Julian Assange reprochait au journaliste de privilégier une hypothèse “discutable” - un regain de violence sur le territoire en question - pour dissimuler à la population entière d’un pays une “violation avérée” de leur vie privée. WikiLeaks avait donné, mardi, 72 heures à Glenn Greenwald pour changer son fusil d’épaule. Le journaliste a tenu bon et Julian Assange a, donc, décidé de rendre, lui-même, public le nom du camarade d’infortune des Bahamas dans le dispositif SOMALGET.

Afghanistan, pays allié traité “comme un ennemi” ?

Reste que WikiLeaks n’a pas accès aux documents d’Edward Snowden sur cette opération d’écoute massive des télécommunications. Dans son communiqué, Julian Assange n’évoque d’ailleurs qu’une “source” et l’analyse détaillée des pages “mal censurées” de la NSA publiées par Glenn Greenwald pour assurer qu’il s’agit bien de l’Afghanistan. Contacté par FRANCE 24, WikiLeaks a confirmé être “à 100 %” sûr de son fait.

Pour Thomas Ruttig, co-directeur de l’Afghanistan Analysts Network, le choix de ce pays par la NSA est loin d’être surprenant. “Sur place, la population était persuadée que les services de renseignement américains ou d’autres pays espionnent les conversations téléphoniques et lorsqu’une réunion sensible a lieu, les téléphones portables sont laissés à l’extérieur de la pièce”, explique à FRANCE 24 cet expert qui a travaillé des années dans ce pays. Mais il y a une différence, reconnaît-il, entre “être convaincu d’une chose et le voir écrit noir sur blanc”.

Car si l’argument de l’éventuel “regain de violence” est discutable, une chose est certaine : cette révélation va “renforcer la méfiance des Afghans envers la communauté internationale”, assure Thomas Ruttig. Officiellement, l’Afghanistan est présenté comme un allié des États-Unis, mais “mettre toute la population d’un pays sur écoute relève davantage du sort réservé à un ennemi”, note Thomas Ruttig. Pas facile dès lors d’apparaître comme un ami qui vous veut du bien et cherche à renforcer la stabilité et la démocratie sur place.

“La NSA peut déployer le dispositif n’importe où”

Cette dimension diplomatique peut, à elle seule et en dehors de toute considération relative à la violence, expliquer la volonté de Washington de garder secret à tout prix le nom de l’Afghanistan. D’autant plus que la situation politique y est sensible à l'approche du second tour des élections présidentielles pour désigner le successeur d’Amid Karzai.

En outre, il n’y pas que les conversations téléphoniques des Taliban ou des trafiquants de drogues qui sont ainsi enregistrées mais aussi celles des autorités afghanes. “Les États-Unis peuvent très bien vouloir savoir s’il y a un double langage entre ce que les responsables du pays leur disent et ce qu’ils négocient vraiment avec les Taliban modérés”, juge Alain Charret, spécialiste des questions de guerre électronique et auteur de “La guerre secrète des écoutes".

Pour cet expert, une dernière raison est purement technique. Enregistrer toutes les conversations téléphoniques d’un petit pays ami comme les Bahamas n’est pas une prouesse technologique. Il en va tout autrement avec l’Afghanistan “où il y a de l’hostilité sur place et un territoire bien plus vaste à couvrir”, note cet expert. “C’est la démonstration que la NSA peut déployer ce dispositif d’écoute n’importe où”.