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Nigel Farage, le trublion europhobe qui sème la zizanie au Royaume-Uni

Nigel Farage, perturbateur de la classe politique britannique, est annoncé comme le grand gagnant des élections européennes. Retour sur le parcours d’un europhobe tonitruant, redouté pour ses diatribes contre l’establishment bruxellois.

Ses coups de gueule ont fait les choux gras du web à travers l’Europe et lui ont forgé une réputation d’europhobe dur à cuire. Le Britannique Nigel Farage, 50 ans, bête noire des institutions européennes et du monde politique britannique, occupe depuis 15 ans le siège numéro 20 du Parlement européen, où il brille par ses interventions musclées et ses diatribes contre diverses personnalités de l’Union.

Herman Van Rompuy, après sa désignation à la tête du Conseil européen en 2010, en a fait les frais. Le 25 février, en guise de bienvenue, Nigel Farage lui a asséné une charge d’une violence inouie, qui a fait le tour des réseaux sociaux : "On nous a dit que quand nous aurions un président, nous verrions émerger une grande figure politique, un homme qui représenterait chacun de nous sur la scène mondiale. Tout ce que nous avons récolté, c’est vous. […] Je ne veux pas être grossier, mais vous avez le charisme d’une serpillère humide et l’aspect d’un petit guichetier de banque. La question que je me pose c’est : qui êtes-vous ? Je n’ai jamais entendu parler de vous ! Personne, en Europe, n’a jamais entendu parler de vous".

Le plus europhobe des élus européens, sommé de s’excuser, n’a consenti à demander pardon qu’aux "employés de banque qu’il aurait blessés". L’anecdote en dit long sur ce trublion qui a fait de ce franc-parler son fonds de commerce. Il en use et abuse depuis le début de la campagne de son parti Ukip (United Kingdom Independence Party) pour les élections européennes et locales du 22 mai. Son programme, il le martèle de la même façon qu’il arpente les pubs : théâtralement. "La victoire de Ukip aux européennes sera un tremblement de terre dans la politique britannique", prédit-il.

L’immigration en ligne de mire

Nigel Farage repousse les avances de Marine Le Pen

Le 17 avril, dans une interview à la BBC, Marine Le Pen a fait un bel appel du pied à Nigel Farage, en lui proposant une association "dans le but commun de combattre l’Union européenne". Le leader de Ukip a repoussé l’avance sans ménagement, estimant que "l’antisémitisme était dans l’ADN du FN" et que le parti de Marine Le Pen s’apparentait plus à un parti d’extrême gauche qu’à un parti de droite. Il a finalement jeté son dévolu sur le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, du parti Debout la République. Un affront que le FN n’a pas digéré.

Les plans du parti se résument à deux idées majeures : organiser la sortie du Royaume-Uni de l’Europe et réguler l’immigration, un thème qui hante viscéralement Ukip. Pour les européennes, le parti a organisé une campagne d’affichage choc, interrogeant les Britanniques sur des panneaux géants disséminés à travers le pays : "26 millions de personnes en Europe cherchent du travail. Et quels emplois veulent-ils prendre ?". Pour Nigel Farage la solution est simple : il suffit de fermer les frontières et de mettre en place un "système de permis de travail et d’un permis d’immigration à points".

Ce discours fermement anti-immigration – que nombre d’observateurs qualifient de raciste et xénophobe – fait mouche auprès d’une partie des Britanniques, de gauche comme de droite. Selon un sondage ComRes publié début mai, Ukip pourrait rassembler jusqu’à 38% des bulletins aux élections européennes du 22 mai, et rafler un tiers des 73 sièges britanniques à Bruxelles. Du jamais vu au Royaume-Uni.

"Par son discours anti-immigration, Nigel Farage mord aussi dans l’électorat travailliste. Mais ce n’est sûrement pas son discours économique et social, inexistant, qui attire ces nouveaux électeurs. Cela se fait sur une base de rejet et de peur", analyse Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres. "C’est le premier phénomène, en Grande-Bretagne, de quelqu’un qui, par ses positions sur l’immigration, peut être vu comme l’incarnation d’une droite radicale ou d’extrême droite", précise le politologue.

L’inspiration du zinc

Fort de sa percée dans les sondages, Nigel Farage est devenu omniprésent sur les plateaux de télévision et de radio, enchaînant interview sur interview. "Il n’est pas beau, il n’est pas sexy, il n’est pas charismatique. Alors pourquoi tout ce tapage ? Pourquoi le considère-t-on avec sérieux ?", s’interrogeait début avril sur la chaîne Channel 4 Yasmin Alibhai-Brown, éditorialiste pour "The Independent". Sans grande expérience politique – il n’a jamais siégé autre part qu’au Parlement européen – la nouvelle star médiatique détonne dans le paysage public britannique très policé. "C’est quelqu’un qui parle différemment, qui parle cru. Il rompt avec le ronronnement de la classe politique britannique", explique Philippe Marlière.

L’homme tranche par son verbe, mais également par son style. Il apparaît souvent, clope à la bouche et pinte de bière à la main, tantôt en Barbour et chemise à carreaux, tantôt en costume sombre et cravate fantaisie. Il se revendique près du peuple et dit s'inspirer de ce qu’il entend dans les bars pour son combat politique. "C’est là que les gens se réunissent, qu’ils discutent, qu’il disent pour qui ils vont voter", expliquait Nigel Farage lors de l’une des nombreuses interviews.

"Son apparence, son expression se veulent populaires, mais certains l’accusent d’être hypocrite et artificiel, car il a beaucoup d’argent, note Philippe Marlière. Il aime se présenter comme un gars normal, un gars du peuple, ce qu’il n’est pas". Originaire de Downe, une petite ville du Kent, au sud-est du Royaume-Uni, Nigel Farage a fréquenté des établissements scolaires huppés. Peu disposé pour les études, il part, à 18 ans, travailler à la City où il devient courtier sur le marché des métaux. Il y reste 20 ans et y engrange une petite fortune. "J’ai absolument adoré ce métier", confie-t-il. De ces deux décennies passées dans l’antre du capitalisme européen, il garde des convictions économiques ultralibérales "qui cadrent très peu avec son électorat en partie ouvrier", commente Philippe Marlière.

Thatchérien convaincu

Grand admirateur de Margaret Thatcher, il milite au parti conservateur jusqu’en 1992, l’année où John Major signe le Traité de Maastricht. Nigel Farage vit cette adhésion comme une capitulation, pire, une trahison. L’homme claque la porte du parti conservateur et fonde Ukip en 1993. Il est élu au Parlement européen en 1999 et ne l’a, depuis, jamais quitté. Il se révèle, au fil des années, un véritable animal politique au point de devenir l’homme à abattre pour le reste du monde politique britannique. Ni les dérapages racistes de certains membres du Ukip, ni des soupçons d’abus d’aides européennes et de déclaration excessives de frais de députés, n’ont infléchi sa popularité.

"Il est absolument redoutable, assure Philippe Malière. C’est un débatteur très coriace, qui aime débattre, qui aime la controverse politique". Mi-avril, Nick Clegg, vice-Premier ministre europhile et chef du Parti libéral démocrate, s’est frotté aux talents d’orateur du leader de Ukip. Il y a perdu des plumes. "De l’avis de tous, Nick Clegg a été battu à plates coutures par Farage", commente le politologue.

Nigel Farage, grisé par sa cote de popularité, se verrait-il leader de la droite britannique ? "Non, absolument pas", assure-t-il haut et fort. Pour l’heure, estime Philippe Marlière, son parti n’a pas les épaules assez larges. "Il faudrait, si ambition nationale il y a, que Ukip propose un programme social et économique, assure Philippe Malière. Il va devoir trancher entre un discours d’une part anti-européen, anti-immigré, nationaliste et d’autre part ultralibéral, qui ne séduisent pas les même électeurs".