Le Nord-Mali a de nouveau basculé dans la violence, samedi, après des violents combats entre l'armée et la rébellion touareg. Décryptage de la situation avec deux spécialistes du Mali, Pierre Boilley et Philippe Hugon.
Les négociations entre le pouvoir malien et les mouvements touareg n’étaient déjà pas au beau fixe : elles semblent aujourd’hui définitivement enterrées. Depuis la signature, à Ouagadougou en juin 2013, d’un accord prévoyant des pourparlers de paix entre le pouvoir central et les Touareg du MNLA, les rapports entre les deux camps n’ont cessé de se détériorer. Jusqu’à atteindre un point de non retour ce week-end : de violents combats ont opposé des militaires maliens à des rebelles à Kidal. Pas moins de 36 personnes – dont huit soldats maliens – ont été tuées.
Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a affirmé le lendemain détenir une trentaine de Maliens, qui ont été libérés depuis, selon l'ONU. Des "prisonniers de guerre", selon le MNLA, des "otages", selon Bamako. "Nous sommes clairement dans une guerre de communication", souligne Pierre Boilley, spécialiste du Mali et directeur de l'Institut des Mondes africains. "Bamako cherche à assimiler le MNLA à des terroristes. Le MNLA se défend et accuse le pouvoir d'avoir ouvert les hostilités". Quoi qu'il en soit, cet acte a déclenché l’ire des autorités maliennes. Dimanche 18 mai, Bamako s'est déclarée "en guerre" contre les "terroristes".
"Bamako ne tient pas ses engagements"
"En attendant de savoir qui a ouvert le feu sur qui, le plus grave reste que les négociations sont durablement bloquées", précise, de son côté, Philippe Hugon, spécialiste du Mali à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Le MNLA, en effet, ne semble pas vouloir baisser les armes. Le mouvement touareg a repris, samedi, l'ensemble des points d'entrée de Kidal. Les combattants ont également mis la main sur la cité administrative qui comprend, notamment, les locaux du gouverneur et la radio. Pourquoi le MNLA a-t-il rebasculé dans la violence après plusieurs semaines de relative accalmie ?
Pour Pierre Boilley, le mouvement touareg aurait tout simplement perdu patience. "Il est important de rappeler que le MNLA a tenu ses engagements, ceux signés à Ouagadougou : il n'a pas perturbé les élections présidentielles [en juillet 2013] et il a accepté l'idée de 'l'intégrité territoriale' du Mali en abandonnant toute vélléité d'indépendance", indique le spécialiste.
itEt Bamako, à l'inverse, n'aurait pas vraiment respecté sa part du contrat. "Selon ces mêmes accords, les autorités maliennes avaient promis de s'engager, 60 jours après l'élection présidentielle, à discuter de 'l'organisation territoriale et institutionnelle du nord du Mali' [et de réfléchir à un statut d'autonomie de la région, NDLR]. Elles n'ont pas tenu leurs engagements", affirme-t-il.
Une analyse partagée par Philippe Hugon. "Il y a une relative intransigeance des autorités maliennes dans ce dossier. Bamako rechigne à s'asseoir autour d'une table pour discuter d'une éventuelle autonomie des Touareg. Pourtant, ces derniers ne réclament plus l'indépendance de l'Azawad. Ils demandent une reconnaissance de leur spécificité."
L’absence de médiateur dans la crise
Reste que ce fossé entre les deux camps n’augure rien de bon pour la stabilité du Mali. "Toute cette situation peut très mal tourner", redoute Pierre Boilley. "Bamako ne veut pas se mettre à dos l'opinion publique. Et cette dernière refuse toute négociation avec les rebelles. Pour la plupart des Maliens et pour le président IBK, le nord du Mali doit être repris par la force, pas par la négociation", développe-t-il. Pour ne rien arranger, Philippe Hugon rappelle également que le MNLA suscite d'autant plus la méfiance de Bamako "qu'ils ont fait l’erreur de s’allier aux [salafistes d'] Ansar Dine [en janvier 2012]".
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"Une erreur aujourd’hui exploitée par Bamako pour justifier sa position ", ajoute Philippe Hugon. Le Mali, en effet, semble avoir, pour l’heure, définitivement exclu l’éventualité de discussions avec le mouvement touareg. "Les terroristes ont déclaré la guerre au Mali, le Mali est donc en guerre contre ces terroristes", a déclaré Moussa Mara, le Premier ministre malien, à Gao, dimanche. Pourtant, la négociation semble la seule issue possible à la résolution du conflit, rappelle le spécialiste.
"Depuis les années 1990, les rapports entre les Touareg et le pouvoir ont toujours suivi le même schéma : répression contre les Touareg, représailles des Touareg, négociations". La seule différence aujourd’hui, insiste Philippe Hugon, reste l’absence d’un médiateur dans cette crise. "Avant, le dirigeant libyen Mouammar Khadafi s’occupait de faire la passerelle entre les deux camps. Aujourd’hui, le Maroc, l’Algérie, le Burkina Faso se disputent le rôle de négociateur… L’histoire du Mali, c’est l'histoire de négociations. Tant qu’un médiateur fiable n’entrera pas sur l’échiquier politique, le Mali restera dans l’impasse", conclut le spécialiste.