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Cannes : la galère "Grace de Monaco" fait naufrage sur la Croisette

, envoyé spécial à Cannes – Chargé d'ouvrir le 67e festival de Cannes, le "Grace de Monaco" cultive une embarrassante fascination pour son sujet. Soporifique, désincarné, le "biopic" du Français Olivier Dahan gâche quelque peu le début des festivités.

Le petit monde Cannes a ses propres codes. Des règles de bienséance tacites qui permettent à cette gigantesque foire du cinéma de ne pas virer à la kermesse du grand n’importe quoi. À chacun d’adopter l’attitude digne de son rang. Le journaliste est autorisé à soigner son look débraillo-décontracto-chic, le touriste à s’afficher en short, les stars à s’exhiber en tenues hors de prix et les professionnels du cinéma à vêtir le costume de travail (après tout ils sont ici pour mener leurs affaires).

Certains cependant ont un caractère suffisamment trempé pour se défaire des conventions. Il fallait voir, mardi soir, veille du coup d’envoi, ce producteur français en jean/t-shirt faire le spectacle à la terrasse d’un café, levant bruyamment son verre à la bonne santé du cinéma, de ses collaborateurs et des journalistes qui avaient fait le déplacement pour une entrevue qu’ils n’obtiendront finalement pas.

Parfum de luxe et terroir méditerranéen

Est-ce pour rappeler aux inconvenants l’importance de l’étiquette que les organisateurs ont jugé bon d’ouvrir le festival avec l’inconsistante hagiographie "Grace de Monaco" signée Olivier Dahan ? Rien de plus dans ce biopic tout à la gloire de la défunte princesse, incarnée ici par Nicole Kidman, ne justifie en tous cas l’honneur de figurer en tête des festivités cannoises.

Passons sur la mise en scène excessivement corsetée donnant la fâcheuse impression qu’on essaie de nous vendre au mieux le dernier parfum d’une grande maison de luxe, au pire de l’huile d’olive issue du bon terroir méditerranéen. Ne nous arrêtons pas non plus sur les dialogues qui, à force de solennité, finissent par sonner creux. Quant aux acteurs, ils ne brillent que par le faste de leur costume : Nicole Kidman peine à rendre la noblesse de son sujet ; Tim Roth, en prince Rainier, se contente du minimum syndical.

>>> Revoir l'interview d'Olivier Dahan <<<

Attardons-nous un instant sur le scénario, problématique à bien des égards. Sur le papier, l’histoire n’était pourtant pas dénuée d’intérêt. Rappel des faits dont s’est inspiré Olivier Dahan (car, comme nous rappelle le film en préambule, "Grace de Monaco" demeure une "fiction") : en 1962, tandis que Monaco est engagé dans un bras de fer politico-fiscal avec la France de Charles de Gaulle, l’ancienne star hollywoodienne décide d’assumer pleinement son rôle de princesse en essayant de défendre à sa manière les intérêts du Rocher.

C’est donc du côté du récit d’apprentissage que lorgne le film. En se concentrant sur un épisode trouble de la principauté, Olivier Dahan entend surtout nous raconter comment Grace Kelly est devenue Grace de Monaco. En clair, qu’est-ce qui a bien pu pousser Son Altesse Sérénissime à opérer sa mue ? Mais l’amour pardi !

Sainte Grace

Tout le film consistera à nous dire que Grace est amour. Tout le reste n’est que bassesse et méchanceté. Les Français sont des tyrans doublés de malotrus, les Monégasques des sujets versatiles, les journalistes d’indécrottables rapaces, ses proches de vils traîtres. Son époux n’est quant à lui qu’un souverain soupe-au-lait lui refusant de retourner sur les plateaux de cinéma, fussent-ceux d’Alfred Hitchcock. Imaginez le scandale : la princesse quittant son palais alors que la principauté traverse une crise diplomatique menaçant de plonger l’Europe toute entière dans le chaos. Parce que l’idée d’être à l’origine de la Troisième Guerre mondiale lui est insupportable, Sainte Grace se plie finalement aux injonctions maritales.

En somme, nous dit Olivier Dahan, si Grace Kelly ne s’était résolue à abandonner les lumières d’Hollywood pour assumer ses devoirs d’épouse et de mère, l’humanité aurait frôlé la catastrophe. On a connu charge féministe plus virulente.

Le mystère Grace

Certes, le réalistaur de "La Môme" n’a jamais prétendu vouloir transmettre un message politique. On nous promettait du glamour, rien que du glamour. Las, à aucun moment le film n’est traversé par la passion. L’amour porté aux nues par l’héroïne est un amour absolu, désincarné, désérotisé qui cantonne "Grace de Monaco" au registre des histoires ressassées dans les magazines spécialisée dans les têtes couronnées.

Le seul mystère qui entoure cette entreprise reste les raisons pour lesquelles le réalisateur s’est obstiné à la défendre, quitte à embarquer du bien beau monde dans sa galère. Il se dit que le distributeur américain Harvey Weinstein aurait proposé une autre version du film. On demande à voir.

"Grace de Monaco" d'Olivier Dahan, avec Nicole Kidman, Tim Roth, Paz Vega, Jeanne Balibar... (Hors compétition)