logo

Camille Lepage, une photojournaliste passionnée des "causes oubliées"

Camille Lepage a été tuée à 26 ans en République centrafricaine. Cette photoreporter française, jeune, expérimentée et engagée, était passionnée par l'Afrique, où elle couvrait les "causes oubliées" et les guerres silencieuses. Portrait.

Camille Lepage était passionnée de photojournalisme. Tuée en Centrafrique, alors qu'elle réalisait un reportage dans ce pays en guerre, elle a été retrouvée, mardi 13 mai, dans un véhicule de combattants anti-balaka lors d'une patrouille de la force Sangaris. Elle avait 26 ans.

Prudente et courageuse. Les témoignages de ses confrères sont nombreux. Tous ceux qui la connaissaient soulignent l’engagement et la persévérance de la jeune femme, très expérimentée malgré son âge. "Elle était jeune mais elle avait déjà beaucoup travaillé", souligne Christophe Deloire, directeur de Reporters sans frontières (RSF).

Ouverture d'une enquête à Paris

Le parquet de Paris a ouvert mercerdi une enquête préliminaire pour assassinat sur le décès de la photographe française Camille Lepage, lors d'un reportage en République centrafricaine. L'enquête a été confiée à l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de la police judiciaire.

Diplômée de journalisme de l'Université de Southampton Solent, en juillet 2012, la photoreporter, originaire d'Angers, avait choisi l'Afrique pour assouvir sa passion, et l’indépendance pour avoir le choix. "Je m’oriente vers le journalisme indépendant avant tout car il est, pour moi, le seul digne de ce nom", avait-elle écrit dans sa lettre de motivation à Rue89, où elle fut stagiaire.

Après avoir couvert la révolution arabe en Égypte en 2011, elle s’envole pour le Soudan du Sud où elle s’installe. Elle veut mettre en lumière ce nouveau pays trop souvent "perçu comme damné", écrit-elle. Elle s’intéresse aussi à la guerre silencieuse qui sévit au Soudan, son voisin du nord. En Novembre 2012, elle part trois semaines dans la région des Monts Nouba, dont le seul point d'entrée était à la frontière sud-soudanaise.

"Mon travail consiste à apporter une visibilité, actuellement quasi inexistante, sur une crise humanitaire négligée ainsi que sur le quotidien des civils, mais aussi une compréhension des enjeux de ces combats", avait-elle alors expliqué sur le site de l'agence Hans Lucas, dont faisait partie la journaliste.

Ce premier reportage, rare et sensible, est publié dans le carnet Géo & Politique du "Monde", dans le magazine "Vice", ou encore "Le Journal de la Photographie". Il est aussi sélectionné parmi les finalistes de la Bourse du Talent 2013, catégorie reportage et nommé Coup de Cœur de l'Association nationale des photographes au festival Visa pour l'Image.

Les causes oubliées

Au centre de la motivation de Camille Lepage : les causes oubliées. Elle est curieuse de ceux qui souffrent en silence et dont personne ne veut parler. "M’installer à Juba (capitale sud-soudanaise, NDLR) correspond à un idéal professionnel et personnel : permettre une meilleure compréhension de fond d’une petite partie du monde, couvrir ces zones délaissées et rapporter des images nouvelles de régions ignorées voire oubliées", écrit la jeune femme sur son site.

"Elle voulait tellement témoigner pour les populations et les pays en conflit qu’elle aurait voulu que je témoigne ce soir", a déclaré sa mère Maryvonne, sur France Info mardi soir. "C’était une enfant qui était très forte – je dis une enfant parce qu’elle n’avait que 26 ans. Depuis deux ans et demi, elle donnait beaucoup d’elle-même."

En septembre 2013, elle part couvrir le conflit en Centratrique, avant le déploiement de la force Sangaris et l’engouement de tous les médias. "Avant son départ pour Bangui, Camille Lepage était venue dans les locaux de RSF à Paris pour chercher un casque et un gilet par balles", se souvient Christophe Deloire. "En décembre dernier, elle avait évoqué une situation de plus en plus dangereuse sur le terrain."

Persévérante, elle est restée et n’a pas posé ses objectifs, multipliant les reportages publiés dans "Le Monde", le "New York times", "Libération", "La Croix"… "Ce qui la distinguait dans cet univers cruel, qui ne ressemble plus en rien à l’ère glorieuse du photojournalisme des années 1960-1980, c’était son investissement" écrit, dans un dernier hommage sur Mediapart, le journaliste Thomas Cantaloube, qui l’a rencontrée à Bangui. "Elle était vive, souriante, enjouée et elle était devenue, au fil des mois de crises et de guerre dans ce pays, l’une des meilleures sur ce terrain particulièrement complexe", souligne-t-il encore.

Camille Lepage est la dix-huitième journaliste tuée dans l’exercice de son métier depuis le début de l’année dans le monde, selon RSF. Le 2 novembre 2013, deux journalistes français de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, avaient été tués au Mali après avoir été enlevés durant un de leurs reportages.