
L’arrestation de l'Irlandais Gerry Adams est l’aboutissement d’une bataille juridique menée par Londres pour accéder aux archives contenant des témoignages d’anciens membres de l’IRA. Seize ans après les accords de paix, le sujet reste sensible.
L'arrestation de Gerry Adams par des policiers nord-irlandais, mercredi 30 avril, pour être interrogé sur son rôle présumé dans le meurtre, en 1972, de Jean McConville est le dernier rebondissement en date d’une longue saga, impliquant d’anciens paramilitaires, des universitaires et les institutions judiciaires aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Le numéro un du parti politique Sinn Féin a toujours nié avoir entretenu des liens directs avec l’Armée républicaine irlandaise (IRA), et d’avoir commandité le meurtre de Jean McConville, mère de 10 enfants, suspectée, par l’IRA, d’avoir servi d’informatrice pour le compte des autorités britanniques pendant le conflit en Irlande du Nord. Mais le témoignage d’un ancien militant républicain, enregistré dans le cadre d’un projet de recherche historique et dévoilé en 2010, a relancé l’affaire, mettant explicitement en cause Gerry Adams.
Enregistrements
"Il n’y a qu’un homme qui a donné l’ordre d’exécuter cette femme. Cet homme est aujourd’hui à la tête de Sinn Féin", avait déclaré, Brendan Hughes, un vétéran de l’IRA, lors d’un entretien avec des chercheurs travaillant sur le conflit en Irlande du Nord pour le Boston College, une université de la ville de Boston, aux États-Unis.
Brendan Hughes est décédé en 2008, son témoignage a été rendu public dans un livre et un documentaire deux ans plus tard. Les universitaires s’étaient engagés auprès des personnes interrogées dans le cadre de leurs recherches - principalement des combattants de l’IRA ayant déposé les armes en 1998 après les accords du Vendredi saint – à ce que leurs confessions restent secrètes jusqu’à leur mort.
Brendan Hughes n’est donc pas le seul à avoir confié ce qu’il savait sur les crimes des années sanglantes en Irlande du Nord. "C’est fort possible que d’autres personnes puissent être mises en accusation sur le fondement des enregistrements du Boston College", estime dans une interview FRANCE 24 Mary Harris, une historienne de l’Université nationale d’Irlande, à Galway.
Désaccords anglo-américains
D’autant que Londres n’entend pas attendre la mort des ex-paramilitaires pour écouter leurs précieux témoignages. En 2011, les autorités britanniques ont engagé plusieurs procédures judiciaires pour pouvoir accéder aux archives des chercheurs américains, brandissant l’accord d’entraide judiciaire conclu avec les États-Unis. Ces démarches ont été vivement contestées par les universitaires du Boston College, jusqu’à porter l’affaire devant la Cour suprême américaine.
John Kerry, à l’époque président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, originaire de Boston, avait même sollicité Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, pour lui demander de s’opposer formellement aux démarches britanniques. "Il est possible que certaines anciennes parties prenantes au conflit puissent percevoir les efforts fournis par les autorités britanniques pour obtenir ces informations comme contraires à l’esprit des accords du Vendredi saint", arguait John Kerry dans sa requête, quelques mois avant qu’il ne remplace Hillary Clinton à la tête de la diplomatie américaine.
Après plusieurs recours, la justice américaine a finalement accordé à Londres le droit d’accéder à une partie des enregistrements. En mars 2014, les services de police d’Irlande du Nord (PSNI) ont utilisé les premiers extraits comme preuves contre Ivor Bell, un ancien militant républicain poursuivi à Belfast pour complicité d’assassinat sur la personne de Jean McConville.
Les enquêtes progressent
Mais, aussi importants soient-ils, les enregistrements produits par le Boston College ne sont pas les seules sources d’information pour les enquêteurs chargés d’élucider des crimes commis en Irlande du Nord entre 1969 et 1998, affirme Mary Harris. "Une déclaration de Dolours Price [ancienne membre de l’IRA, NDLR] aux médias incriminait aussi Gerry Adams. N’importe quelle personne impliquée dans les troubles peuvent se manifester à n’importe quel moment", estime l’historienne.
Et pour cause : certaines enquêtes ont récemment connu un coup d’accélérateur, indépendamment des témoignages recueillis par les universitaires américains. Mercredi, les policiers enquêtant sur l’explosion d’une bombe dans le pub McGurk, à Befast en 1971, ont annoncé qu’ils avaient arrêté un suspect, le deuxième en l’espace de six semaines. Seul un militant loyaliste (favorable à Londres) a pour l’heure été reconnu coupable pour cet attentat, au cours duquel 15 personnes avaient été tuées dans un pub appartenant à un catholique. Par ailleurs, au début du mois d’avril, un tribunal de Belfast a inculpé un ancien militant de l’IRA opposé aux accords du Vendredi saint pour la mort de 29 personnes dans l’explosion d’une voiture piégée à Omagh, une ville de l’ouest de l’Irlande du Nord, le 15 août 1998.
"Griefs sous-jacents"
Malgré ces avancées, la résolution des milliers d’affaires liées au conflit nord-irlandais n’est pas dénuée d’obstacles. En février, les poursuites judiciaires contre John Downey, un ancien membre actif de l’IRA accusé de l’attentat de 1982 contre la Garde royale à Londres, ont été abandonnées après qu’il a présenté une lettre rédigée par les autorités britanniques à la fin des années 1990, lui promettant l’immunité en échange de sa participation au processus de paix. Environ 200 autres anciens paramilitaires auraient également reçu ce gage de Londres. Un juge, désigné par le Premier ministre David Cameron pour déterminer la validité de ces lettres, doit rendre ses conclusions dans le courant du mois de mai.
"Il n’y a eu aucune promesse d’immunité générale au moment des accords du Vendredi saint et ces lettres, accordées au cas par cas aux paramilitaires, étaient jusqu’alors inconnues de nous tous", a affirmé Mary Harris.
À la toute fin de l’année 2013, un nouveau cycle de négociations entamées sous la houlette de l’Américain Richard Haass a échoué. Il visait à amener les anciennes parties prenantes au conflit en Irlande du Nord à un accord sur les questions restant encore aujourd’hui en suspens, notamment sur les problématiques de "gestion du passé". Ces derniers mois ont été jalonnés de tensions, réminiscences du conflit en Irlande du Nord. Ainsi, en 2013, plusieurs affrontements violents ont éclaté à Belfast autour du drapeau britannique apposé sur le fronton de l’Hôtel de Ville. Pour Mary Harris, le constat est sans appel : 16 ans après la signature des accords de paix, "des griefs sous-jacents persistent".