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Alors que la capitale indienne entre à son tour dans le marathon législatif entamé lundi en Inde, tous les yeux se tournent vers le parti anti-corruption AAP qui espère se poser en alternative aux vieux partis empêtrés dans des scandales.

Les plus grandes élections législatives du monde ont débuté le 7 avril en Inde et doivent se poursuivre jusqu’à la mi-mai. Jeudi 10 avril, les électeurs de New Delhi, comme ceux de l’État clé de l’Uttar Pradesh, ont pris le chemin des bureaux de vote. Un jeune parti anti-corruption né dans la capitale indienne est au centre de l’attention médiatique. Fondé par l’activiste Arvind Kejriwal (45 ans), le Parti de l’homme ordinaire (Aam Aadmi Party – AAP) est maintenant considéré comme la troisième force politique face aux deux poids lourds : le Congrès national indien (INC) et le Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party – BJP).

"L’AAP n’est apparu qu’en 2012, mais il a gagné plus d’un tiers des votes dans les élections locales à New Delhi l’an passé et est devenu le deuxième parti dans la capitale", explique Robert Parsons, chroniqueur international à FRANCE 24. "Il serait très intéressant de voir si cela peut se traduire par un succès national." Dans l’État reculé d’Assam, où le vote a débuté plus tôt cette semaine, Samir Jain, un programmateur informatique, explique à FRANCE 24 qu’il a voté pour l’APP parce que "les deux autres partis [dominants], le Congrès et le BJP, sont pareils, c’est pourquoi nous voulons quelque chose de différent".

Même si l’AAP semble plus implanté dans le nord et l’ouest du pays, il présente près de 400 candidats à travers le pays. Récoltera-t-il dix sièges ou une cinquantaine ? "C’est difficile à dire. Mais même s’il ne récoltait que dix sièges, ce serait déjà une avancée spectaculaire pour un parti si jeune", assure Ingrid Therwath, en charge de l’Asie du Sud à l’hebdomadaire "Courrier international" et chercheuse au Centre de sciences humaines de New Delhi.

"Les Indiens aspirent au changement"

Mandakini Gahlot, correspondante de FRANCE 24 à New Delhi, fait le même constat. "Les gens aspirent profondément au changement", dit-elle. "Le bruit a circulé récemment que les responsables du Congrès national indien et du gouvernement ont reçu entre 5 et 10 millions de dollars de pots de vin. Le gouvernement a tenté de mettre la poussière sous le tapis, se mettant encore plus à dos les électeurs", ajoute-t-elle.

Combiné avec une croissance économique léthargique, le climat électoral indien pourrait favoriser l’ascension de "l’homme commun" Arvind Kejriwal qui, à la différence des autres hommes politiques, ne porte ni vêtements traditionnels, ni costumes cravates. Son style vestimentaire habituel est plus proche de celui des électeurs majoritairement jeunes et urbains qu’il courtise.

Diplômé du prestigieux Indian Institute of Technology de Kharagpur (est du pays), Kejriwal a préféré un poste de fonctionnaire au sein de l’administration fiscale à une carrière d’ingénieur. En 1999, il a fondé Parivartan (Changement), une organisation pour aider les citoyens à payer leurs impôts et à obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont droit. Il s’est fait connaître en utilisant la loi sur le droit à l’information (Right to Information Act) pour révéler et dénoncer des affaires de corruption et d’abus de pouvoir au sein de l’administration indienne.

Right to Information Act

Amrita Johri, un activiste anti-corruption installé à New Delhi, expliquait à FRANCE 24 en janvier que le Right to Information Act avait été "révolutionnaire" en révélant des scandales à grande échelle ou au niveau local, tel le détournement de nourriture ou de médicaments destinés aux pauvres. "Aujourd’hui, grâce au Right to information Act, les citoyens peuvent vérifier les fiches de stock. Ils constatent souvent que les denrées sont livrées aux fournisseurs mais ne leur sont jamais redistribuées", explique-t-elle.

Devenu populaire grâce à son combat en faveur de la transparence, Kejriwal veut désormais peser dans l'arène politique nationale, tout en marquant sa différence. "Il essaie de rester au-dessus de la politique partisane. Il veut être l’incarnation de la société civile, ce qui est compliqué une fois que l’on dispose d’un mandat électif", explique Ingrid Therwath.

En décembre, l’AAP avait créé la surprise en remportant les élections locales de New Delhi, faisant de Kejriwal le ministre en chef de la capitale indienne et le propulsant sur la scène nationale. Mais le 14 février, après seulement 49 jours aux commandes de la capitale, Kejriwal avait démissionné de son poste, arguant que le système politique en place ne permettait pas d’impulser de réelles réformes. Ce départ précipité a laissé beaucoup de ses partisans perplexes et ses rivaux l’ont affublé d’un surnom, "AK-49". "L'enthousiasme et l'espoir ont disparu" à partir de ce moment-là, estime Amulya Ganguli, analyste politique, jointe par l'AFP. "Ils ne sont pas restés pour gouverner et cette mise en scène théâtrale a déçu les gens."

Une claque… et un pardon

Cette semaine, le chef du AAP s’est retrouvé une nouvelle fois sous le feu des projecteurs après s’être fait gifler en pleine rue par un chauffeur de pousse-pousse alors qu’il faisait campagne dans un quartier de New Delhi. L’assaillant, Lali Prasad, a déclaré aux journalistes qu'il était un partisan du parti anti-corruption déçu par la décision de Kejriwal de démissionner du gouvernement de New Delhi.

Mais en habile communicateur, la vedette des réseaux sociaux (5 millions de fans sur Facebook, 1,5 million de followers sur Twitter) a su retourner la situation à son avantage. Lors d'une réunion organisée dans sa résidence de New Delhi, Kejriwal a pardonné et embrassé Prasad devant les caméras. Peu après, le conducteur de pousse-pousse s'est excusé publiquement et a proclamé : "Je le considère [Kejriwal] comme un dieu." Voilà pourquoi peu d'analystes se risquent à évoquer une déroute électorale pour l’APP. Du moins, pas pour le moment.