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Législatives québécoises : la campagne vire à l'aigre

La campagne en vue des législatives du 7 avril tourne à une série de passes d'armes entre Philippe Couillard, du Parti libéral du Québec, et Pauline Marois, du Parti québécois. Cette dernière pâtit notamment de ses prises de position sur la laïcité.

En décidant, le 5 mars dernier, de dissoudre le Parlement et de provoquer des élections législatives anticipées, la chef du gouvernement et du Parti québécois (PQ) Pauline Marois cherchait à offrir une majorité absolue à sa formation. À quelques jours de ce scrutin, prévu lundi 7 avril, cet objectif s’annonce plus compliqué que prévu. Il pourrait même se transformer en échec cuisant.

Selon un dernier sondage publié le 2 avril par la chaîne canadienne CTV, le PQ se trouve en effet devancé par le Parti libéral du Québec (PLQ) de Philippe Couillard. Ce dernier récolterait 37 % des intentions de vote contre seulement 28 % pour le parti au pouvoir. "Si la tendance se maintient, le PLQ sera majoritaire avec 70 sièges ou plus, contre 28 ou 29 pour le PQ. Mais les prédictions des sondages sont souvent inexactes au Québec, à cause, en partie, d'un taux habituellement élevé d’électeurs indécis en fin de campagne et par définition volatiles", précise à FRANCE 24 François Pétry, professeur au département de science politique de l’Université Laval à Québec.

Deux autres formations, la Coalition Avenir Québec (CAQ), de François Legault, et Québec solidaire, de Françoise David, se retrouveraient, selon la même étude, en position d'arbitre avec, respectivement, 19 % et 13 % des intentions de vote.

Polémique autour de la charte des valeurs

Au début de sa campagne, le Parti Québécois avait notamment choisi d'axer notamment sa campagne sur la charte des valeurs. Présenté en septembre dernier, ce texte vise à promouvoir la laïcité et préconise notamment "d’encadrer le port des signes religieux ostentatoires pour le personnel de l'État". L'initiative s’est finalement retournée contre le gouvernement. L’opposition n’a cessé, au cours de ces derniers mois, de critiquer ces mesures jugées intolérantes. Une candidate péquiste (du PQ), Louise Mailloux, a même été taxée de "xénophobe" pour avoir décrit "la circoncision des juifs et des catholiques comme un viol". Pauline Marois n'a pas été épargnée par la vague d'indignation contre cette charte accusée, entre autres, d’instaurer une discrimination à l’embauche. La Première ministre a accentué l'ire d'une partie de la population en reconnaissant, par ailleurs, que des personnes rémunérées par l'État qui refuseraient de se conformer aux préceptes de laïcités édictés par le texte pourraient être, "en tout dernier recours", congédiées.

Le Parti québécois a également été ébranlé par l’arrivée dans ses rangs du magnat de la Presse Pierre Karl Péladeau. La candidature de ce milliardaire, qui a annoncé qu’il comptait faire du "Québec un pays", a certes suscité l’espoir des indépendantistes mais a aussi provoqué la crainte des plus modérés. Comme le note le quotidien "Le Devoir" : "L’onde de choc créée par la profession de foi souverainiste de Pierre Karl Péladeau profite non pas au Parti québécois (PQ), mais plutôt au Parti libéral du Québec (PLQ), qui fait le plein d’appuis chez les électeurs fédéralistes francophones".

Pour François Pétry, ces réserves vis-à-vis des prises de position de l’homme d’affaires québécois s’expliquent par le fait qu’une majorité des Québécois ne veut plus de référendum sur l’indépendance : "La plupart des jeunes Québécois francophones (et je ne parle pas des jeunes allophones et des anglophones) se sentent peu concernés par le projet souverainiste de leurs parents (ou même de leur grands parents). C’est un projet générationnel qui a peut-être fait son temps, au moins sous sa forme actuelle".

Une tendance que confirme "Le Devoir" : "Le 'non' l’aurait d’ailleurs emporté par une majorité sans équivoque de 59 % si une consultation sur l’indépendance du Québec avait eu lieu cette semaine".

"Créer une grosse chicane"

Profitant du malaise autour de cette question, les Libéraux se sont engouffrés dans la brèche. Durant toute sa campagne, Philippe Couillard a brandi le spectre du référendum et la radicalisation de ses adversaires : "Le but n'était pas de légiférer sur la soi-disant identité. Le but était de créer une grosse chicane, une grosse division et tabler là-dessus de façon vraiment machiavélique pour aller vers un référendum", a-t-il ainsi expliqué selon "La Presse Canadienne", n’hésitant pas à qualifier le gouvernement de "dangereux, toxique et incompétent".

En réponse, Pauline Marois a tenté de rassurer les électeurs en promettant qu’il n’y aurait pas de référendum en cas de reconduite au pouvoir de son parti. "Pour l’instant, nous allons en élections sur le programme du gouvernement qui concerne l’emploi, l’économie, la culture et la santé. […] Ce n’est pas une élection sur la souveraineté", a-t-elle martelé dans les colonnes de "Métro Montréal", avant de poursuivre : "Pour ce qui est de l’avenir du Québec, nous avons l’intention de déposer un livre blanc qui permettra d’avoir un débat et de consulter les Québécois. On ne bousculera pas les Québécois dans ce débat".

Les préoccupations premières des Québécois sont finalement passées au second plan au cours de cette campagne surtout marquées par des attaques très virulentes entre les deux principaux partis et leurs chefs respectifs. Philippe Couillard a ainsi été pointé du doigt pour avoir, selon ses détracteurs, rechigné à dénoncer les exactions du pouvoir politique en Arabie saoudite avec lequel il a collaboré (il a été conseiller du ministre de la Santé). L'homme est également accusé de posséder un compte sur le paradis fiscal de l’île de Jersey. De l'autre côté, Claude Blanchet, le mari de Pauline Marois, a été pris pour cible après des allégations de financement illégal du Parti québécois.

"Nos campagnes électorales se déroulent maintenant sur fond d’accusations fallacieuses et de raccourcis intellectuels", dénonce Pierre Simard, professeur à l’Ecole nationale d’administration publique dans une tribune du "Journal de Québec" intitulée "Une campagne qui pue". Et de poursuivre : "Désormais, le mensonge et la suspicion triomphent de la réalité des faits. Il suffit à un politicien de répéter sans cesse le même mensonge pour que celui-ci devienne la vérité".

Comme le souligne également auprès de l’AFP Claire Durand, sociologue et spécialiste des sondages à l’Université de Montréal, ces querelles ont pris le devant de la scène au détriment des questions sur la santé, l’éducation ou l’économie. Selon elle, les électeurs ont finalement d'autres préoccupations : "En Gaspésie [au centre-est du Québec, NDLR], c’est le prix du poisson qui fait l’élection".