, envoyée spéciale en Algérie – Malgré l’absence de moyens financiers pour concurrencer la campagne du président sortant Abdelaziz Bouteflika, les bénévoles du candidat Ali Benflis s’activent pour "sauver la République". Reportage.
Depuis janvier, cette discrète salle des fêtes abrite le quartier général de campagne de la wilaya d’Alger d'Ali Benflis, candidat à la présidentielle du 17 avril. À peine le seuil franchi, les affiches du principal adversaire au président sortant Abdelaziz Bouteflika s’alignent le long des murs. Dans l’escalier sombre menant au premier étage, la faïence bleue des murs parvient à égayer les lieux, peu fréquentés en cette fin de journée. Au premier étage, des personnes discutent par petits groupes. Tout au fond de la pièce, un pupitre trônant au dessus du drapeau algérien semble désespérément attendre qu’un orateur enflamme ces rangées de chaises vides. Mais, contrairement aux apparences, c’est bien ici que s’organise toute la campagne d’Ali Benflis. Validation des comités de soutiens dans les 57 communes de la wilaya, organisation de bureaux de propagande électorale, affichage sur les panneaux dédiés… Les militants s’activent, mais loin des regards indiscrets.
"Ali Benflis est porteur d’un projet de société ouverte, démocratique et pluraliste où l’on respecte les droits de l’Homme et la liberté d’expression", s’enthousiasme Mohamed Allalou, fidèle parmi les fidèles depuis la première course présidentielle de son candidat en 2004. L’homme, ancien sportif de haut niveau, a été le ministre de la Jeunesse et des Sports en 2003 dans le gouvernement alors dirigé par Ali Benflis. Il est aujourd’hui devenu son directeur de campagne dans la wilaya d’Alger. Pour lui, la période actuelle est "propice au changement". "En 2004, les données n’étaient pas les mêmes. La société bouge. Il y a un front de refus du quatrième mandat. Je crois à la victoire parce que le peuple veut le changement", martèle le quinquagénaire au teint doré par le soleil.
Une campagne sans budget
Ici, dans le QG de campagne du principal rival d’Abdelaziz Bouteflika, le système D, si cher aux Algériens, triomphe. Ali Benflis n’ayant pas de parti derrière lui, il s’autofinance entièrement. Quelques bienfaiteurs aident le candidat en nature : fabrication gratuite d’affiches, de tracts… mais pas de monnaie sonnante et trébuchante. Conformément au code électoral, le candidat devrait voir une partie de ses dépenses remboursées par l’État proportionnellement aux résultats du premier tour. Ainsi, 10 % des sommes réelles engagées lui seront remboursées s’il totalise entre 10 et 20 % des suffrages exprimés. Ici, dans cette salle des fêtes de Ben Aknoun, tout le monde travaille donc bénévolement.
Face à Ali Benflis, l’équipe d’Abdellaziz Bouteflika a mobilisé une machine électorale
colossale. Sans jamais montrer le moindre défaitisme, Mohamed Allalou, le regard rieur, ne tarit pas d’exemples pour illustrer cette campagne présidentielle à deux vitesses : les membres de l’actuel gouvernement sont tous mobilisés dans la course à la réélection de l’actuel président, les salles de meetings sont "remplies avec des bus payés avec les deniers de l’État"… "David contre Goliath", soulignent en chœur les quatre autres adversaires du président-candidat. Alors qu’Abdelaziz Bouteflika s’affiche aux quatre coins de la capitale, parfois sur des pans entiers de façade, les autres candidats restent dans l’ombre. "C’est parce qu’il est uniquement visible sur les photos ! À défaut de voir le candidat, et, bien que ça ne soit pas réglementaire, on le grandit", ironise Mohamed Allaloul, fustigeant au passage le manque de neutralité de l’administration.
Victime d’un AVC le 27 avril 2013, hospitalisé pendant 80 jours en France, Abdelaziz Bouteflika est aux abonnés absents. "Même Abdelmalek Sellal [directeur de campagne du président-candidat, NDLR] a dit en pleine campagne à Blida [au sud-est d’Alger] : ‘On sait que le président est malade, qu’il ne peut pas assumer ses fonctions de président mais nous lui avons demandé de se présenter’, souligne Mohamed Allaloul. Amar Saâdani [ secrétaire général du parti du Front de libération nationale (FLN)] a dit la même chose à Oran. Pour lui, c’est le peuple qui lui a demandé de se présenter". Et le directeur de campagne d’Ali Benflis d’ajouter, dubitatif : "Personnellement, je n’ai jamais vu de manifestations pour demander à Bouteflika de se présenter ! Il y a une indifférence, peut-être, mais pas d’appel pour un quatrième mandat. C’est plutôt l’inverse".
"Stratégie d'accaparement"
Au deuxième étage du QG, une cellule de communication est entièrement dédiée aux réseaux sociaux. Des feuilles au format A4 recouvrent les murs de la petite pièce d’à peine 12 m² : plan de communication, calendrier des évènements… L’objectif ? Occuper le plus possible la Toile. "Nous avons investi les réseaux sociaux, souligne fièrement Tassadit, une militante déjà bénévole lors de la première campagne d’Ali Benflis. Nous sommes dans une stratégie d’accaparement. Nous n’hésitons pas à entrer en contact et aller chercher ceux qui militaient pour des candidats qui ne sont plus dans la course. Et ça marche. Certains viennent même nous rendre visite ici", souligne-t-elle fièrement.
Sa voix douce mais ferme résonne dans ce petit espace enfumé. Attablée au milieu de la pièce, Tassadit épluche, compile et vérifie des documents, comme cet itinéraire préparé pour chaque région administrative afin de faciliter la venue des militants aux meetings.
La sexagénaire aux cheveux courts surveille de loin Islam et Mohamed, tous deux en pleine réalisation d’une nouvelle banderole pour la page Facebook d’Ali Benflis, Benflis 2014. "Précise ‘bulletin n°2’. Les gens ont besoin de savoir le numéro qu’ils doivent choisir [chaque candidat est désigné par un numéro sur les bulletins pour faciliter le vote aux personnes illettrées ou analphabètes, NDLR]. ‘Le 17 avril 2014, je vote bulletin numéro 2’", insiste la bénévole.
Face à la machine implacable mise en place par le mastodonte Bouteflika et l’administration qui peut "jouer des mauvais tours", Mohamed Allalou espère un sursaut civique de la population. "Il y aura un certain taux d’abstention mais j’espère qu’il y aura un réveil du patriotisme. Voter contre le quatrième mandat [d’Abdelaziz Bouteflika, NDLR], c’est voter pour la sauvegarde de la République et sauver le pays".
Dans le cas contraire, regrette le directeur de la campagne algéroise, le spectre de la violence, qu’il assure déjà larvée dans la société, pourrait devenir le recours ultime. "C’est comme quand vous mettez un arbre dans un petit pot : soit le pot casse, soit l’arbre meurt".