Lors du Festival du grand reportage d'actualité, qui se déroule jusqu'à dimanche au Touquet, des journalistes et experts italiens ont tiré la sonnette d'alarme sur les mafias qui investissent désormais l'économie légale en Europe.
La mafia ne connaît pas la crise. Mieux, elle en profite. "Les mafieux ont tellement d’argent qu’ils ne savent plus quoi en faire", s’exclame Michela Monte, en charge du projet "Stop Blanqueo" (Stop au blanchiment), une série de rapports et de reportages visant à exposer les trafics mafieux. À l’occasion du Figra, le Festival du grand reportage d’actualité, qui se tient du 26 au 30 mars dans le Pas-de-Calais, au Touquet, cette journaliste engagée a présenté l’une de ses enquêtes filmée dans le nord de l’Italie.
"J’étais vraiment surprise de découvrir à quel point la mafia s’était infiltrée dans l’économie de la région, car le nord a la réputation d’être immunisé par ce genre de trafic", explique Michela Monte. Accompagnée d’experts et de juges italiens membres de l’association Ilaria Alpi, du nom d'une journaliste abattue en Somalie en 1994, la militante italienne a voulu sensibiliser le public français, et surtout le mettre en garde: "Cela ne concerne pas que l’Italie, les mafieux sont partout en Europe".
Mafieux en cols blancs
Régulièrement menacée, sous protection rapprochée, la juge Giovannella Scaminaci a vu le profil des mafieux changer au cours de sa carrière. "Les mafieux, ce ne sont plus juste des gangsters avec de gros flingues et des bimbos. Ils sont devenus bien plus subtils. Ce sont désormais des banquiers, des notaires, des gens respectables, en apparence du moins", raconte-t-elle.
416BIS - FRANCE from STOP BLANQUEO on Vimeo.
Le crime organisé, qui bénéficie de relais influents au sein de la finance et des pouvoirs politiques, pénètre progressivement tous les secteurs de l’économie, du bâtiment aux énergies alternatives ou encore la santé. "En injectant des capitaux illicites dans les entreprises qui subissent la crise, les mafias en prennent progressivement le contrôle", explique le magistrat. "L’activité économique se trouve fasse à une concurrence déloyale, car la mafia se moque des règles". D’après la Commission antimafia du Parlement européen, la déformation du marché causée par le business mafieux coûte chaque année aux entreprises des pays membres de l’Union européenne près de 670 milliards d’euros.
L’argent sale injecté dans l’économie légale
D’où proviennent ces capitaux illicites ? "Nous ne saisissons pas plus de 10 % de la cocaïne qui arrive en Europe," explique le procureur adjoint de Reggio Calabria, Nicola Gratteri. "Cet argent ne reste pas en Calabre [fief de la puissante ‘Ndrangheta], il est investi à Rome, ou encore plus au nord, en Europe, en Amérique du Nord, en Australie". En Allemagne, les mafias italiennes ont, en plus de l’achat d’hôtels et de restaurants, effectué des transactions financières à la Bourse de Francfort, selon un rapport datant de 2006 des services de renseignement allemands (BNG ou Bundesnachrichtendienst). D’après Nicola Gratteri, la ‘Ndrangheta aurait même acheté des actions du groupe énergétique russe Gazprom.
De la Camorra napolitaine aux triades chinoises, en passant par les cartels latino-américains, les organisations criminelles tirent partie de la mondialisation et n’hésitent plus à injecter des fortunes dans l’économie légale, partout sur la planète. Car l’argent sale coule à flot, nettoyé par la finance dérégulée.
Symbole de la lutte anti-mafia en Italie, Nicola Gratteri regrette le manque de prise de conscience en Europe. L’Amérique du Sud collabore ainsi plus efficacement avec le procureur italien que ne le fait le nord de l’Europe. "J’ai eu d’énormes difficultés en Europe parce qu’il y a des systèmes judiciaires différents, qui ne permettent pas des actions banales pour nous en Italie, comme l’arrestation retardée ou la saisie retardée", explique le procureur, avant de conclure : "Les Européens continuent de faire comme si la mafia n’existait pas. S’il n’y a pas de cadavres par terre, c’est l’Eden."