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Le référendum en Crimée en cinq questions

Les bureaux de vote ont ouvert dimanche en Crimée et 1,5 million de citoyens sont appelés à se prononcer sur le rattachement de la péninsule à la Russie où des milliers de soldats russes sont déployés. Quels sont les enjeux de ce scrutin ?

Les bureaux de vote en Crimée ont ouvert en Crimée à 8 heures locales (7 heures à Paris) et près d'un million et demi d'electeurs sont attendus aux urnes ce dimanche pour décider du sort de la péninsule. Depuis la fuite, le 22 février, du président Viktor Ianoukovitch et la constitution dans la foulée d’un nouveau gouvernement intérimaire à Kiev, la Crimée cristallise toutes les tensions entre pro-Russes et pro-Européens en Ukraine.

Le Parlement local de cette République autonome, à majorité russophone, s’est déjà prononcé en faveur d’un rattachement de la péninsule à la Russie mais il souhaite doubler ce vote d’une confirmation populaire. Le but affiché du référendum organisé ce dimanche 16 mars est donc de valider la décision du Parlement. Mais Kiev et les Occidentaux en contestent la légalité. Le point sur ce référendum explosif. 

• Quel est l’enjeu du scrutin ?

Les électeurs de Crimée sont appelés aux urnes, dimanche 16 mars, pour choisir entre une autonomie renforcée de la péninsule au sein de l'Ukraine ou son rattachement à la Fédération de Russie. Mais ce vote fait plus figure de formalité que de réel référendum populaire.

La première raison, qui explique le peu de suspense quant aux résultats, tient à la formulation du référendum en lui-même qui ne laisse pas la place au choix. Il ne s’agit pas d’un "oui" ou "non" sur l’autodétermination de la Crimée mais deux propositions de scénarios et le statu quo n’en fait pas partie :

1/ "Êtes-vous favorable à l'intégration de la République autonome de Crimée à la Fédération de Russie ?"

2/ "Êtes-vous favorable au rétablissement de la Constitution de Crimée de 1992 et au maintien de la Crimée comme partie intégrante de l'Ukraine ?"

La deuxième question, qui peut paraître pro-européenne n’est en fait qu’un retour à leur première Constitution (l'autre est entrée en vigueur en 1999) qui permet aux Russes de garder un certain contrôle de la région et aux Criméens de demander éventuellement une annexion plus tard. Dans tous les cas, Moscou est donc gagnant, et ceux qui préfèreraient l’autorité de Kiev ne peuvent pas s’exprimer via ce scrutin.

Ensuite, la deuxième raison qui permet déjà de deviner l'issue du scrutin est que le vote pour un rattachement à la Russie a déjà eu lieu au Parlement.

La troisième raison, enfin, est d'ordre démographique : les russophones représentant 60 % de la population criméenne, ils sont donc majoritaires, de fait. Même si tous les russophones ne sont pas pour un rattachement à la Russie, la plupart préfèrent une autonomie accrue.

• Comment va se dérouler le scrutin ?

Le vice-Premier ministre de la région, Roustam Temirgaliev, a indiqué que plus de 1 200 bureaux de vote seront ouverts dans la région entre 8h00 (6h00 GMT) et 22h00 (20h00 GMT). Environ 1,5 million de personnes sont enregistrées sur les listes électorales de 2012 et donc attendus aux urnes.

Le résultat sera validé si le taux de participation dépasse les 50 %. "Nous sommes certains que plus de 80 % de la population de Crimée participera" a assuré, confiant, le vice-Premier ministre. Le président du comité d'organisation de la consultation, Mikhaïl Malychev, indique que 623 journalistes représentant 129 médias ont été accrédités pour couvrir la référendum, suivi aussi par 135 observateurs étrangers venus de 23 pays. Des résultats préliminaires seront annoncés dès dimanche soir, et les chiffres définitifs dans la journée de lundi. Le budget de la consultation, couvert entièrement par les fonds de la région, s'élève à 16 millions de hryvnias, soit 1,3 million d'euros.

Mais pour Douglas Herbert, reporter à FRANCE 24 et spécialiste de l’Ukraine, “ce référendum est une imposture. La plupart de ceux qui vont se présenter aux urnes dimanche seront pro-Russes. Ce référendum n’est fait que pour eux”, assure-t-il. En effet, les dirigeants de la communauté tatare (pro-européens), qui représente de 12 à 15% de la population de la péninsule, ont appelé au boycott. Quant aux autres partisans du maintien au sein de l'Ukraine, “ils font l’objet, depuis l’annonce du scrutin, de menaces et d’intimidations”, explique Douglas Herbert. Ils devraient donc se faire discrets. D’autant que le vote par procuration n’est pas autorisé. Pour glisser un bulletin dans l’urne, il faudra se déplacer en personne. 

• Quelle est la position de Kiev et des Occidentaux sur ce référendum ?

Dès l’annonce de l’organisation du référendum, Kiev a réagi en qualifiant le scrutin d’illégal. Une position rapidement rejointe par le G7 : "Étant donné le manque de préparation adéquate et la présence intimidante des troupes russes, ce serait (...) un processus entaché d'irrégularités qui n'aurait aucune force morale. Pour toutes ces raisons, nous ne reconnaîtrons pas le résultat", a déclaré par la voie d’un communiqué l’organisation regroupant l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni.

Selon Douglas Herbert, “Kiev est tout à fait prêt à négocier davantage de libertés et de droits à la Crimée qui est déjà une république autonome au sein de l’Ukraine, mais le gouvernement estime que le référendum a été imposé de force, par intimidation et sous le joug de 20 000 soldats russes présents sur place sans autorisation.”

• Quelle est la position de Moscou sur ce référendum ?

Vladimir Poutine a déjà annoncé qu’il respecterait l’issue du vote mais il n’a pas encore défini sa prochaine action. “Sa position est assez floue”, commente Douglas Herbert. “La question est de savoir si la Russie va accepter la requête de la Crimée demandant à être annexée ou si Poutine ne fera accéder la péninsule qu'au rang de région autonome appartenant à la fédération de Russie, comme le Dagestan et la Tchétchénie", poursuit-il.

Tout devrait se jouer autour du 21 mars, date à laquelle la Douma doit étudier une proposition de loi visant à faciliter le rattachement à la Russie d'un territoire d'un pays étranger. “Rien indique, en revanche, qu’il y aura un vote ce jour-là”, précise Douglas Herbert.

• Et après le scrutin ? Quelle va être la situation en Crimée ?

La situation en Crimée risque d’évoluer dès lundi. La première des craintes évoquées par la population et les experts concerne de possibles violences post-scrutin, notamment entre pro-Russes et nationalistes ou entre pro-Russes et Tatars turcophones. Depuis plusieurs jours, déjà, un regain de tensions dans l’est de l’Ukraine laisse présager le pire. Deux personnes sont mortes et cinq autres blessées lors d'une fusillade, dans la nuit de vendredi à samedi, impliquant des nationalistes radicaux et des militants pro-russes.

Au delà des violences communautaires, la population craint également de somber rapidement dans le chaos, la région et ses institutions n’étant absolument pas préparées à réintégrer la Russie. Les autorités pro-russes locales tentent de rassurer la population, assurant qu'il n'y aura pas de problèmes avec les retraites ou les salaires et que les banques disposent de suffisamment de liquidités pour tout le monde. Sur le terrain cependant, leurs propos semblent peu entendus.

"Il y a l'instabilité politique, et les gens ne savent pas ce qui va se passer à partir de lundi", explique à l’AFP un dirigeant chez Unicredit Bank à Simféropol. "Certains retirent leur argent et le placent sous leur matelas, d'autres le dépensent pour faire des stocks de nourriture", ajoute-t-il, décrivant une réelle “confusion” parmi la population. Il y a même eu des informations de presse dans les journaux locaux selon lesquels certains habitants de la péninsule se dépêchaient de contracter des crédits dans l'espoir de ne pas avoir à les rembourser une fois que la Crimée fera partie de la Russie.

Et la situation ne risque pas de se clarifier rapidement pour la population. Quand bien même la Douma vote l’annexion, l'intégration complète de la péninsule à la Russie devrait prendre environ un an, selon Serguiï Axionov, le "Premier ministre" autoproclamé de Crimée.