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Grande Guerre : Flora Sandes, femme soldat sur le front

Promise à une vie bien rangée dans son Angleterre natale, Flora Sandes a bousculé les conventions sociales en devenant la seule femme occidentale combattante lors de la Grande Guerre. Profitant du chaos, elle a rejoint les rangs de l'armée serbe.

Les camarades de combat de Flora Sandes avaient pour habitude de l’appeler “notre frère”. Durant deux ans, de 1915 à 1916, cette Anglaise a réussi à gagner le respect sur le champ de bataille. Vêtue d’un uniforme, casque sur la tête, fusil chargé, rien ne la distinguait de ses homologues masculins de l’armée serbe lors des combats en Macédoine, en Grèce ou encore en Albanie. Alors que la guerre était encore, à l’époque, une affaire d’homme, cette femme a été la seule occidentale à s’enrôler dans une armée durant la Première Guerre mondiale.

L’incroyable destin de Flora Sandes a pourtant débuté à des milliers de kilomètres des Balkans. Née en 1876, dans le Yorkshire, et élevée par des gouvernantes, cette fille d’un prêtre anglican n’était pas vraiment promise à une carrière militaire. Elle développa cependant dès son plus jeune âge un goût prononcé pour le sport et les activités en plein air, s’exerçant au tir et à l’équitation. "Flora a écrit dans l’une de ses deux autobiographies que lorsqu’elle était petite fille, elle priait chaque nuit pour qu’elle se réveille un jour en garçon", raconte à FRANCE 24 Louise Miller, le premier auteur à avoir consacré un livre à l’histoire de cette combattante (A Fine Brother : The Life of Captain Flora Sandes).

Une enfant qui rêvait de devenir soldat

Au début du XXe siècle, la jeune anglaise a ainsi choisi de ne pas suivre le parcours tout traçé des filles de bonne famille. Téméraire, elle n’hésita pas à participer à des courses de voiture, à devenir secrétaire au Caire ou encore à voyager dans la lointaine Amérique. Lorsque la guerre éclata en 1914, elle comprit très vite que le conflit pouvait lui permettre d’échapper encore un peu plus de sa condition : "Quand elle était enfant, elle rêvait de devenir un soldat, mais en tant que femme de la bourgeoisie, on attendait seulement d’elle qu’elle se marie, qu’elle ait des enfants et qu’elle s’occupe de son foyer. La Première Guerre mondiale était comme un signe pour vivre de plus grandes aventures".

Dès le début du conflit, Flora Sandes s’engagea alors comme infirmière bien qu'âgée de 38 ans. Avec un groupe d’une trentaine d’autres femmes, elle quitta l’Angleterre pour la Serbie. Transférée au plus près du front avec une ambulance militaire, elle sympathisa avec le commandant d’un régiment serbe. Alors que les combats se faisaient de plus en plus violents, elle échangea, avec son accord, son tablier d’infirmière contre une tenue de combat : "Flora a réussi à intégrer l’armée serbe en utilisant le chaos généré par la guerre. Alors que la défaite de la Serbie était imminente, elle avait le choix entre rentrer chez elle ou rejoindre l’armée. Elle a choisi la deuxième option", résume Louise Miller.

Il n’était pas rare, à l’époque, de voir des femmes se battre au sein de l’armée serbe ou russe comme la célèbre Maria Bochkareva. Mais Flora Sandes fut la seule occidentale à avoir été en première ligne comme n'importe quel soldat. Dans son pays d’origine, seule Dorothy Lawrence réussit à intégrer l’armée britannique en se déguisant en homme, mais elle renonça à son aventure au bout de dix jours. En France, l’aviatrice Marie Marvingt utilisa le même subterfuge pour rejoindre le 42e bataillon de chasseurs à pied. Finalement découverte, elle fut renvoyée dans ses foyers. En 1915, elle participa toutefois, à bord d'un avion, aux premières opérations de bombardement d’infrastructures militaires sur le territoire allemand, ce qui lui valut la Croix de Guerre.

Flora Sandes ne connut pas ses difficultés pour se faire accepter. Aux côtés de ses camarades masculins, elle partagea les mêmes angoisses et les mêmes souffrances. "Assise sous la pluie, de la boue jusqu’aux genoux", comme elle l’a écrit dans ses mémoires. En novembre 1916, elle fut même grièvement blessée par une grenade lors de l’avancée serbe à Monastir. Retirée loin des combats, elle commença alors à écrire à l’hôpital le récit de son aventure en se basant sur ses lettres et son journal.

Un dur retour à la réalité

À la fin de la guerre, après avoir été promue officier, Flora Sandes parcourut le monde pour témoigner de son expérience de femme soldat. Mais ce retour à la vie civile ne fut pas des plus faciles. "Elle ne se sentait plus à sa place quand elle a été démobilisée en octobre 1922. Elle racontait que la première fois qu’elle porta de nouveau des vêtements de femme, elle rasa les murs dans la rue", explique Louise Miller. Frustrée par la fin des combats, Flora Sandes continua cependant de vivre selon ses envies. Mariée à un officier de l’armée russe blanche, elle s’occupa d’un café à Dubrovnik, chaperonna de jeunes danseuses anglaises aux Folies Bergères à Paris, ou encore conduisit un taxi à Belgrade.

Mais en 1941, la guerre fit son retour : "Quand les Allemands attaquèrent la Yougoslavie, elle remit son ancien uniforme et se prépara à retourner au combat malgré le fait qu’elle avait 65 ans. Elle affirmait qu’elle ne pouvait pas échapper à son devoir sachant qu’elle avait été récompensée par l’Ordre de l'Étoile de Karageorge (la plus haute distinction militaire serbe)". La guerrière fut toutefois stoppée dans son élan par la Wehrmacht, qui envahit le pays en une dizaine de jours. Après la Seconde Guerre mondiale, Flora Sandes s’installa avec son neveu en Rhodésie (désormais Zimbabwe) avant de terminer sa vie dans le Suffolk où elle mourut en 1956 à l’âge de 80 ans, non sans avoir renouvelé son passeport, comme si elle s’attendait à s'envoler pour de nouvelles destinations.

Figure injustement méconnue de la Grande Guerre, cette capitaine était pourtant un précurseur dans de nombreux domaines. Pour Louise Miller, Flora Sandes est une véritable héroïne. Cent ans après, son engagement est toujours un exemple :"Elle était moderne de bien des façons. Elle se fichait des classes, des questions ethniques ou de genre. Elle prenait juste les gens comme ils étaient".