
Ambassade, église, stations de métro et mosquée : le nouveau centre d'entraînement de l'armée américaine est une ville entièrement reconstituée. Un investissement très onéreux, pour combattre les ennemis "du XXIe siècle".
À première vue, c’est une station de métro comme les autres. Escaliers, rampe en métal, quai et wagon de la ligne rouge de Washington D.C., tout y est. Pourtant, les roues n’avancent plus et aucun nom d’arrêt n’est affiché sur les grands murs en ciment. L’explication est simple. Il s’agit d’un faux, d’un univers urbain reconstitué au sein d’une base militaire en Virginie, à 1h30 de la capitale américaine. Son but : entraîner les soldats à la "guerre asymétrique", c'est-à-dire aux combats contre des ennemis non-conventionnels (terrorisme, guérilla urbaine, contre-insurrection...).
"L’Asymmetric Warfare Training Center (AWTC, le Centre d’entraînement à la guerre asymétrique) a été créé pour développer des solutions à des problèmes complexes dans l’environnement le plus réaliste possible", explique le lieutenant-colonel Sonise Lumbaca, chargée de la communication du centre. Dans cette partie de la base, l’environnement est une zone urbaine. Autrement dit, il s’agit de s’entraîner à toutes sortes d’interventions de l’armée dans une ville : guérilla urbaine, attentat, tremblement de terre, inondation…
Le colonel Petkosek, qui dirige l’AWTC, donne un exemple : "N’importe quelle ville dispose d’un système d’évacuation des eaux. Mais quand nos ennemis réalisent que les tuyaux se situent sous les routes [ comme c'est le cas dans de nombreuses villes occidentales, NDLR], cela devient un endroit idéal pour placer des explosifs."
Réalisme des détails
Il a fallu deux ans et 96 millions de dollars pour que cette ville-témoin d’un peu plus d’un kilomètre carré voie le jour à Fort A.P. Hill, en Virginie. Tout près de la station de métro se dressent une ambassade et un train – qui, lui, fixé sur des rails roule -. Un peu plus loin, une église, un terrain de football adossé à une école et une petite mosquée au dôme bleu. Tous ces édifices sont reliés entre eux par une rue parsemée de panneaux de signalisation.
De petits détails comme un kiosque à journaux, un distributeur de billets ou encore un vélo attaché à un immeuble d’habitation viennent parfaire le réalisme de la scène. "Si vous construisez une fausse ambassade sans fenêtres, sans murs vitrés, sans portes, vous perdez le sens du réalisme", juge le colonel Petkosek.
Si la base est dirigée par l’Asymetric Warfare Group, les soldats mais aussi les pompiers viennent d’un peu partout des États-Unis pour s’entraîner. Samedi 1er mars, très tôt dans la matinée, 60 hommes et femmes de la "82 Airborne Division" de Caroline du Nord testent les installations.
S’adapter dans un environnement non familier
En bas d’un immeuble de plusieurs étages, le colonel Petkosek commente l’exercice d’un petit groupe de 10 militaires : "Dans ce scénario, les soldats doivent récupérer un équipement servant à redémarrer leur véhicule en panne. Or, cet équipement est situé au deuxième étage et ils n’ont pas le droit d’utiliser le premier pour l’atteindre. Ils doivent donc échanger leurs compétences pour y arriver (…) L’objectif est d’être capable de s’adapter dans un environnement non familier."
Peu de temps auparavant, les soldats se livraient à d’autres exercices, rampant dans un conteneur plongé dans l’obscurité pour simuler une mission de secours après un séisme, ou portant le corps d’un blessé sur les rails du métro. Parfois, l’entraînement est dirigé dans une langue étrangère pour complexifier la mission.
Crainte d’une attaque aux États-Unis ?
La plupart de ces exercices ont déjà été réalisés séparément sur d’autres bases. La nouveauté, avec ce centre nouvelle génération, le premier de ce genre aux États-Unis, est de pouvoir les mener de concert et dans un univers moderne parfaitement crédible. D’où la présence d’une église et d’une mosquée. "Les soldats doivent savoir être respectueux des croyances religieuses des différents territoires où ils opèrent. Ils doivent savoir comment agir à proximité d’édifices religieux", affirme le colonel Petkosek.
L’annonce de l’inauguration de la base fin janvier a pourtant créé quelques interrogations chez les Américains. Certains redoutent une attaque imminente sur leur territoire. Pourquoi préparer les soldats à la guérilla urbaine dans un lieu qui ressemble tant à une ville occidentale ? Et dans quelle ville se trouve-t-on, au juste ? Washington, Paris, Kiev ?
Des interrogations balayées par le colonel Petkosek. "Opérer dans une ville est une compétence que les soldats doivent posséder. Ce n’est pas une ville européenne, africaine, ou américaine. C’est un univers générique qui peut être modifié afin de ressembler à la ville que l’on souhaite. Il s’agit de préparer nos soldats à la guerre du XXIe siècle." Certes. Mais après la visite, il est difficile de croire que l'armée américaine n'avait pas les attentats de Boston ou du 11-Septembre en tête lorsqu'elle a construit cet onéreux complexe.