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"Monuments Men" : Cate Blanchett incarne une résistante française oubliée

En écrivant sur Rose Valland, une résistante qui permit de sauver des œuvres d'arts volées par les nazis, la sénatrice Corinne Bouchoux était loin d'imaginer son livre porté à l'écran. C'est pourtant chose faite avec le film "Monuments Men".

"La boucle est bouclée ! Mission accomplie ! Je suis plutôt contente." Corinne Bouchoux a du mal à cacher son excitation. Il y a quelques jours, la sénatrice Europe Écologie-Les Verts (EELV) a été personnellement invitée à assister à l’avant-première parisienne du dernier film de Georges Clooney "Monuments Men". Très émue, l’élue du Maine et Loire a pu voir sur grand écran le fruit d’un long travail. Dans cette superproduction, l’actrice australienne Cate Blanchett redonne vie à la résistante Rose Valland, à laquelle Corinne Bouchoux a consacré une biographie. "Si on m’avait dit un jour que mon livre, qui n’a intéressé personne pendant des années et que j’ai fait dans une solitude totale, pourrait inspirer un film, je ne l’aurais pas cru !".

Un coup de fil d’Hollywood

En 2006, en effet, son ouvrage "Rose Valland, la résistance au musée" sort dans une relative discrétion. Le livre est imprimé à seulement 2 000 exemplaires. "Après des années de recherches, j’étais très contente de l’avoir publié. Mais ensuite, j'ai estimé qu'une page de ma vie s’était tournée et je ne m’en suis plus occupée. On me sollicitait juste pour des conférences", raconte Corinne Bouchoux, interviewée par FRANCE 24 dans son petit bureau du Sénat . "Mais un jour, il y a un peu plus de cinq ans, un monsieur avec un fort accent américain m’a appelée pour me dire qu’il voulait racheter les droits de mon livre pour en faire un film à Hollywood."

Incrédule, la sénatrice croit d'abord à une plaisanterie. Mais au bout du fil, son interlocuteur est des plus sérieux : Robert Edsel est un ancien homme d’affaires texan reconverti dans l’histoire de l’art. Passionné par la Seconde Guerre mondiale, ce riche américain a regroupé dans un livre, aujourd’hui porté à l’écran par Georges Clooney, les mémoires des Monuments Men, ces soldats alliés chargés de récupérer les œuvres d’art volées par les nazis. "Il s’est aperçu qu’en France, il y avait eu très peu de recherches sur ce sujet. Il a juste trouvé mon livre sur Rose Valland, précise Corinne Bouchoux. Il a fait un chèque de 7 500 euros à mon éditeur pour racheter les droits. Il l’a fait traduire et il le vend même aujourd’hui sur son site comme un produit dérivé du film".

Rose Valland, une résistante de l’ombre

Il faut dire que le parcours de Rose Valland est indissociable de celui des Monuments Men. Tombée dans l’oubli, cette femme originaire d’une famille modeste de l’Isère a pourtant joué un rôle essentiel auprès de ces soldats pour sauver les chefs d’œuvre spoliés durant le conflit. Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, à l'époque le centre de triage des tableaux et des sculptures promis au musée d’Hitler à Linz en Autriche ou encore à la collection personnelle d’Hermann Goering, cette spécialiste de l'histoire de l'art a été un témoin privilégié du pillage nazi. "Pendant l’occupation, elle a été une véritable espionne, notant tous les tableaux qui partaient, avec leur destination. Elle a informé la résistance française et ensuite les Américains afin qu’ils évitent de bombarder certaines caches. Si son cahier n’était pas arrivé entre de bonnes mains, tout cela aurait été perdu", insiste la sénatrice.

Le long-métrage "Monuments Men" se concentre précisément sur ce travail de l’ombre et sur les risques encourus par Rose Valland. Son personnage, joué par Cate Blanchett sous le nom de Claire Simone, fournit de précieux renseignements au soldat américain James Granger (incarné par Matt Damon) pour l'aider à identifier les endroits où les nazis stockaient les œuvres réquisitionnées.

Le film tait toutefois une large partie de sa vie. "Elle aurait pu avoir un rôle plus consistant, car le film s’arrête en 1945 alors que Rose Valland est restée en Allemagne jusqu’en 1954", regrette Corinne Bouchoux. Au lendemain de la capitulation allemande, poursuit la sénatrice, la résistante a en effet pris une décision courageuse. Devenue capitaine de l’armée française, elle parcourt pendant de longues années - et en uniforme - les ruines du Troisième Reich pour retrouver les œuvres d'arts emportées par les Allemands. "Grâce à elle, 70 000 œuvres sont revenues en France, où sont enregistrées 100 000 réclamations. À l’époque, elle était aussi une négociatrice souterraine pour les diplomates, une sorte de sherpa lorsqu'étaient entamés des pourparlers. Elle s'est ainsi déplacée une quarantaine de fois en zone soviétique pour voir ce que les Russes avaient récupérés. Ce n’était pas facile car ils considéraient qu’ils pouvaient bien tout garder étant donné tout ce qu’on leur avait pris. Elle a ainsi joué un rôle crucial pendant et après la guerre."

"Vieille fille acariâtre"

Devenue conservatrice des musées nationaux en 1952 et décorée des titres les plus prestigieux (Chevalier de la Légion d'honneur, Médaille de la Résistance, Médaille de la Liberté en 1948, et Officier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d'Allemagne), Rose Valland a ensuite passé le reste de sa vie dans l’anonymat le plus total. "On l’a mise dans un placard quand elle est rentrée en France. On lui a confié une nouvelle mission, celle de défendre le patrimoine français en cas de troisième guerre mondiale. Elle était la madame sécurité des musées français", poursuit Corinne Bouchoux. "Mais elle n’a jamais accepté qu’on lui dise que c’était terminé. Elle était obsédée par le sujet. Elle a travaillé jusqu’à sa mort [En 1980, NDLR], elle voulait retrouver un propriétaire pour chaque tableau volé par les nazis et renouer le fil de l'histoire".

Pour sa biographe, Rose Valland est finalement tombée dans l’oubli pour plusieurs raisons : "D'abord, c’était une femme, et dans ce pays, on préfère les héros masculins. Elle était aussi issue d’un milieu modeste, loin du sérail culturel. Et elle était également homosexuelle. Elle a vécu avec la même compagne, mais pendant longtemps on l’a prise pour une vieille fille acariâtre, alors qu’elle ne l’était pas du tout. Elle était juste discrète. Enfin, elle était aussi au courant d’un certain nombre de scandales et d’abus. Personne n’avait intérêt à ce qu’elle les révèle".

Soixante-dix ans après son engagement héroïque, le film "Monuments Men" lui rend enfin honneur. Mais l'action de Rose Valland est loin d'être une page révolue de l'histoire. Dans les musées nationaux français, 2 000 œuvres issues de la spoliation (appelées MNR) n’ont toujours pas retrouvé leurs propriétaires. À l’image de son illustre aînée, Corinne Bouchoux en a fait un combat personnel. Rapporteuse d’une commission sur le sujet au Sénat, elle souhaite que la France donne réellement aux ayants droit des propriétaires juifs les moyens de retrouver leurs trésors culturels et que l'État ne se contente plus d'attendre qu'ils se manifestent. Elle préconise la création d’une cellule de recherches. "Si on ne peut pas les identifier, il faut au moins qu’on soit au clair sur ces tableaux. Je ne veux plus qu’aucun musée français n’achète une œuvre alors qu’il y a un doute sur son passé", assène-t-elle.

Pour faciliter ce travail, un site Internet portant le nom de Rose Valland a été créé par le ministère de la Culture. Il permet notamment de consulter le répertoire des MNR en dépôt dans les musées français ou de se documenter sur le sujet. Mais ce bel hommage ne satisfait pas encore pleinement Corinne Bouchoux : "Je trouve cela anormal qu’il n’y ait pas dans tous les musées une plaque avec son nom et sa photo. J’espère que cela va arriver. Que Rose Valland soit aussi méconnue m’a toujours semblé être une injustice. J’ai juste voulu la réparer". Sur les écrans le 12 mars, le film "Monuments Men", va aussi contribuer à lui redonner sa juste place dans l'Histoire.