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Chute de la Bourse à Moscou, dégringolade du rouble : les investisseurs commencent à fuir la Russie suite à l'aggravation de la crise russo-ukrainienne. Une illustration des dangers économiques qu'entraîne le pari militaire de Poutine en Crimée.

Il n’y a pas que les diplomates et les chefs d’État occidentaux qui voient d’un mauvais œil l’escalade militaire en Crimée. Les marchés financiers n’apprécient pas non plus la crise russo-ukrainienne. Cette réaction boursière démontre que la rhétorique guerrière du Kremlin peut avoir des conséquences économiques néfastes pour la Russie au-delà même d’éventuelles sanctions économiques imposées par les États-Unis ou l’Union européenne.

La monnaie russe a en effet dégringolé, lundi 3 mars, et il fallait, pour la première fois, plus de 50 roubles pour obtenir un euro sur le marché des changes. Cette devise qui dévisse n’a pas du tout été du goût de la Banque centrale russe. Une chute trop forte du rouble risque, en effet, de gonfler l’inflation. Pour éviter ce scénario, la Banque centrale a décidé une hausse “temporaire” de son principal taux directeur et a vendu, lundi, 10 milliards de dollars de ses réserves pour soutenir la monnaie nationale. “L’idée est qu’en augmentant le taux d’intérêt, la Banque centrale espère rendre le rouble plus attractif aux yeux des investisseurs et éviter ainsi une fuite des capitaux sur le marché des devises”, explique Pascal de Lima, économiste en chef du cabinet de conseil EcoCell.

Pas sûr que cette politique fonctionne. La Banque centrale russe soutient déjà depuis plus d’une semaine le rouble, chahuté par la crise ukrainienne, en dépensant des milliards de dollars pour racheter des devises russes. Cet interventionnisme n’a pas empêché la monnaie nationale de perdre environ 8 % de sa valeur par rapport aux dollars et à l’euro, alors même que le Président russe Vladimir Poutine n’avait pas encore évoqué d’intervention militaire. Le risque d’une confrontation armée ne fait qu’inquiéter davantage les détenteurs de roubles.

“Hystérie”

Le rouble n’est pas la seule victime de la défiance des investisseurs. La Bourse de Moscou a perdu, lundi matin, près de 13,5 % en réaction à la situation sur le terrain. "Il y a un mouvement général de vente, les brokers veulent clore leurs positions [se débarrasser de leurs actifs russes, ndlr] à tout prix", souligne à l’agence de presse Reuters Artem Argetkine, trader chez BCS à Moscou. Gazprom, société symbolique de l’économie russe, avait ainsi perdu 14 % de sa valeur boursière lundi à la mi-journée.

Cette fuite des capitaux n’a pas échappé au gouvernement russe. Elle a été qualifiée de “vague d’hystérie” par Andreï Klepatch, vice-ministre de l’Économie. Ce dernier a, par ailleurs, reconnu que ce mouvement risquait de continuer quelques temps. “On va clairement assister à une fuite des capitaux étrangers de Russie pendant au moins une semaine”, confirme Pascal de Lima. Pour cet économiste, le montant des fonds quittant la Russie n’est pas encore de nature à ébranler l’économie russe. Mais si la situation continue à se détériorer la fuite des capitaux pourrait s’accélérer.

Pour l’instant, la communauté internationale n’a pas encore décidé d’éventuelles sanctions économiques à l’encontre de la Russie. “C’est à moyen terme, l’une des principales menaces pour la Russie qui pourrait se traduire par de nouvelles fuites des capitaux”, résume Pascal de Lima. Il ajoute que c’est la première fois dans un conflit que les marchés financiers réagissent de manière aussi virulente. “C’est un signal clair adressé à Moscou pour l’inciter à l’apaisement”, affirme cet économiste.

Bière et énergie

Les investisseurs s’en sont aussi pris aux entreprises occidentales exposées aux marchés russe ou ukrainien. L’action de la banque autrichienne Raiffeisen bank, qui cherche à se débarrasser de sa filiale ukrainienne, chutait ainsi de plus de 7 % lundi. La baisse était de 6 % pour le brasseur danois Carlsberg, très présent en Russie et Ukraine, comme le rappelle le Financial Times.

Des sanctions économiques contre Moscou affecteraient aussi des groupes qui exportent beaucoup en Russie comme Renault (par l’intermédiaire de son partenariat avec Avtovaz). Danone, dont 10% des ventes mondiales sont réalisées en Russie, verrait probablement aussi d’un mauvais œil l’instauration de sanctions contre la Russie.

Une crainte similaire que doivent partager la plupart des géants de l’énergie comme BP, Shell, Eni ou encore Total. Ces groupes ont, tous, des partenariats avec des sociétés russes du secteur, comme Gazprom ou Rosneft, pour exploiter les sous-sols russes très riches en hydrocarbures.

Enfin, plus généralement, “les banques et institutions financières ayant des intérêts en Ukraine risquent d’être durement touchées”, juge Pascal de Lima. Les banques européennes ont investi près de 17 milliards d’euros en Ukraine. Ces sommes risquent de passer par pertes et profits si aucun plan d’aide d’urgence n’est mis en place par la communauté internationale pour éviter à l’Ukraine de faire faillite.