Les spéculations se multiplient quant à la réaction de Moscou, depuis l'accélération des évènements en Ukraine et la chute de son allié Viktor Ianoukovitch. La Russie serait-elle en train de jouer la carte de l’intervention militaire ?
Un revers humiliant pour le président russe et ses rêves de grandeur, qui pourrait écorner son image à l’intérieur de son propre pays. Après l'accélération des évènements en Ukraine, la Russie de Vladimir Poutine est au centre de toutes les attentions. Depuis la chute de son allié Viktor Ianoukovitch, qui lui permettait de maintenir Kiev sous l’influence directe de Moscou, les spéculations se multiplient quant à la réaction du maître du Kremlin.
Outre la pression économique, qui consisterait à bloquer les fonds d’aide, à augmenter les droits de douane sur les produits ukrainiens, ou encore à couper ses livraisons de gaz, que peut faire la Russie pour conserver l’Ukraine dans son orbite et éviter qu’elle ne penche vers l’Ouest ? Serait-elle, comme l'affirmait vendredi soir le gouvernement de transition à Kiev, en train de jouer la carte de l’intervention militaire ?
"La Russie est embarrassée par la situation, Vladimir Poutine ne veut perdre ni la face, ni la main sur l’Ukraine, pour laquelle Moscou a investi beaucoup d’argent et d’espoir. Il n’est donc pas près de l’abandonner", explique Armelle Charrier, spécialiste des questions internationales sur FRANCE 24.
Craignant une invasion militaire de la Crimée, une République autonome russophone stratégique, qui a appartenu à la Russie avant d'être rattachée à l'Ukraine en 1954, Washington et l'Otan (qui a signé en 1997 un partenariat avec l'Ukraine) ont exhorté le Kremlin à éviter toute "escalade". Si la Russie a assuré respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine, certaines troupes de l’armée russe ont cependant été "mises en alerte" le long de leur frontière commune. Vendredi, l'Ukraine, par la voix de son ministre de l’Intérieur, a accusé la Russie "d'invasion armée" après la prise de contrôle de plusieurs sites stratégiques en Crimée, qui héberge la flotte russe de la mer Noire dans la ville portuaire de Sébastopol. Ce que Moscou dément.
Ambigüité diplomatique
Pour Alexandra Goujon, politologue spécialiste de la Russie et de l'Ukraine, ces évènements sont "des manœuvres, qu’il faut voir comme une volonté de Moscou de protéger ses intérêts en Crimée, et ensuite, éventuellement comme un moyen de déstabiliser le nouveau pouvoir central ukrainien". Soit une sorte d’ingérence a minima, à défaut d’une intervention militaire au grand jour. Un avis que partage Armelle Charrier : "Ces évènements sont à inscrire dans le cadre d’un jeu d’influence : il y a des manœuvres militaires, des intimidations autour d’aéroports en Crimée, des actes symboliques, mais hautement importants".
Selon Gauthier Rybinsky, spécialiste des questions internationales à FRANCE 24, "une intervention militaire russe serait difficile à justifier, puisque Moscou n’a subi aucune agression de la part de Kiev, et qu’aucune violence n’a été commise contre les russophones de Crimée".
La diplomatie russe n’en reste pas moins ambigüe, ce qui laisse la porte ouverte à toutes sortes de scénarios. Ainsi, vendredi, Vladimir Poutine a ordonné à son gouvernement de continuer à discuter avec Kiev sur les dossiers économiques et commerciaux et de prendre contact avec ses partenaires étrangers, FMI et G8, pour organiser une aide financière. Une manière donc de maintenir le contact avec le nouveau pouvoir central. En parallèle, il a également demandé, selon un communiqué publié sur le site internet du Kremlin, à son gouvernement d'étudier une demande d'aide humanitaire émise par la République autonome de Crimée.
"Cette ambigüité diplomatique, jumelée avec le jeu d’influence en Crimée, fait que toutes les options restent sur la table, estime Armelle Charrier. Car le fait que Poutine évoque une aide humanitaire pour la Crimée n’est pas sans rappeler le précédent de 2008 avec la Géorgie, lorsque l’Ossétie du Sud a été envahie par les Russes. Moscou avait justement argué du fait qu’il fallait envoyer une aide humanitaire pour cette région séparatiste pro-russe".
"On n’en est pas encore là, mais tous les voyants sont au rouge", conclut Armelle Charrier. Elle rappelle aussi que si Moscou veut intervenir, ses hommes sont déjà présents sur place, avec 14 000 soldats stationnés en Crimée.