Selon Wolfram Lacher, spécialiste de la Libye, la présence de dijhadistes dans le sud du pays est exagérée. Une intervention internationale ne serait pas la solution pour cette zone instable où se superposent conflits tribaux et trafics.
Depuis plusieurs mois, les déclarations tant occidentales qu'africaines faisant du sud libyen un "nouveau sanctuaire des djihadistes" dans le Sahel se multiplient. Tous pointent notamment du doigt les djihadistes en déroute du Mali. Ces derniers auraient trouvé refuge dans ces vastes étendues désertiques échappant au contrôle d’un État libyen délité.
Le 27 janvier, le chef d'état major des armées françaises a plaidé pour une intervention militaire dans le sud libyen : "L'idéal serait de pouvoir monter une opération internationale avec l'accord des autorités libyennes." Le 5 février, le ministre nigérien de l'Intérieur est même allé jusqu'à demander à Paris et Washington d'"assurer le service après-vente" après leur opération contre Kadhafi en 2011.
Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité, a fait des recherches dans le sud libyen. Il vient de publier un article où il analyse les tensions et rapports de force dans le Fezzan, une zone instable où se superposent conflits tribaux et trafics (de produits subventionnés tels que pétrole, sucre, farine...de chameaux, de cigarettes, d'alcool et de drogues).
FRANCE 24 : Dans votre étude, vous affirmez que les médias internationaux, surtout francophones, exagèrent l'importance des djihadistes dans le sud libyen. Qui contrôle vraiment cette partie du pays ?
Wolfram Lacher : Le sud libyen est fragmenté en zones d'influences locales : une grande partie des frontières est sous le contrôle de l'ethnie Toubou. D’autres régions comme à Sebha (sud-ouest) et Koufra (sud-est) sont l’objet de rivalités entre milices, sur des bases tribales ou ethniques. Il n’y a pas d’aggravation de la fragmentation des zones d’influences mais une escalade des confrontations pour le contrôle des frontières, des trafics ou des champs pétroliers. Les combats qui se sont déroulés à Sebha en janvier ont été les plus violents depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi.
Je ne conteste pas qu’il y ait une présence djihadiste dans le sud de la Libye. Des acteurs locaux, notamment à Oubari (sud-ouest), me l'ont confirmé. Mais les djihadistes n'y jouent pas un rôle majeur : leur présence n’est pas permanente et ancrée, elle est mobile et discrète. La mobilisation dans le sud est essentiellement sur base ethnique ou tribale. Alors qu'à Benghazi, Derna et dans d’autres villes du Nord, c'est tout le contraire : la mobilisation des djihadistes est forte et leur présence ouverte.
Que pensez-vous de la pertinence d'une intervention internationale dans le sud de la Libye ?
Il n’y a pas de solution rapide aux problèmes de la Libye. Et surtout pas de solution venue de l’extérieur. Une intervention étrangère, sous quelque forme que ce soit, serait rejetée par une majorité des Libyens. Au final, cela créerait plus de problèmes que cela n’en résoudrait. Il faut être à l'écoute des préoccupations des Nigériens, mais ils exagèrent sans doute la présence djihadiste pour mobiliser les Occidentaux. En réalité, les inquiétudes des Nigériens vont bien au-delà.
En outre, il serait très dangereux pour Tripoli ou des puissances étrangères de s’allier avec des milices locales contre les djihadistes. L’intervention d’acteurs externes sur le terrain risquerait de liguer des milices locales et mettrait un frein à toute reprise en main par le gouvernement central.
Cette situation chaotique qui règne au Sud est tout de même propice aux activités des groupes djihadistes ? Le gouvernement de Tripoli n'est-il pas en mesure de s'y intéresser ?
"Depuis la chute du régime, les trafics qui transitent par le sud libyen ont sensiblement augmenté. De la Libye en direction des pays situés au sud, la circulation de produits subventionnés (pétrole, sucre, farine, huile alimentaire) a connu une hausse sensible. Il faut ajouter à cela des véhicules soit volés soit importés – sans frais de douane – via les ports libyens sous contrôle des milices. Dans l’autre sens, il y a toujours du trafic de chameaux et de cigarettes, mais l’alcool et la drogue transitent en quantités encore plus importantes qu’avant."
Les groupes djihadistes et d’autres groupes, comme les réseaux criminels, peuvent exploiter cette situation s’ils trouvent des alliés locaux. Mais l’absence de contrôle étatique concerne toute la Libye, pas seulement le Sud. Même Tripoli n’est pas sous le contrôle du gouvernement. L'État libyen ne dispose pas d'armée pour lutter contre les djihadistes ni pour s’interposer entre les parties de conflits. De plus, une grande partie de l’élite politique libyenne, à Tripoli ou Benghazi, ne comprend pas ou ignore ce qui se passe au Sud. Cette région n’a pas beaucoup d’importance dans la lutte pour le pouvoir. Il faut aussi rappeler que seules 500 000 personnes y résident sur une population totale d'environ 6,5 millions d’habitants.
Toute solution passe en réalité par un processus politique qui sera très difficile et très lent. Ce n’est pas une question de moyens. Les ressources sont disponibles, ce qui pose problème c’est leur répartition entre les différentes communautés. Il y a beaucoup d’initiatives locales pour réconcilier les parties sur des bases tribales, mais il faut aussi un gouvernement capable disposant d’une base politique claire et forte.