
Au deuxième jour du procès de Pascal Simbikangwa, la stratégie de défense de l’ex-capitaine des services de renseignement rwandais paraît claire : il n’était qu’un obscur fonctionnaire cloué à une chaise roulante sans aucune responsabilité.
"Ce qu’il veut faire, c’est embrouiller la cour", résume simplement Dafroza Gauthier, co-fondatrice avec son mari Alain du Collectif pour les parties civiles pour le Rwanda (CPCR), présente mercredi 5 février à l’audience du premier procès en France d’un responsable présumé du génocide rwandais de 1994.
Embrouille. Le terme est bien choisi car ce deuxième jour de procès commence comme un banal interrogatoire de police. Les avocats commis d’office de l’ex-capitaine Simbikangwa demandent à leur client de bien vouloir décliner son identité, sa date et son lieu de naissance pour clore la confusion qui avait occupé les débats pendant deux bonnes heures la veille. En effet, ce dernier avait affirmé ne pas s’appeler Simbikangwa mais plutôt "Safari Senyamuhura", à moins que ce ne soit "David Safari"...
D’une voix parfois difficilement audible, l’accusé finit par reconnaître, mercredi matin, qu’il se nomme bien Pascal Simbikangwa mais qu’il a plusieurs identités. Le président du tribunal constate avec ironie "que la nuit lui a porté conseil" et la cour d’assises peut enfin poursuivre ce qui l’occupera pour encore de nombreuses journées : l’examen de la biographie et de la personnalité de l’accusé.
Un fonctionnaire bien tranquille ?
L’interrogatoire de la matinée tournera donc autour des fonctions qu’occupait l’ex-capitaine au sein des services de renseignement rwandais entre 1988 et 1994. Homme d’action, ancien de la garde présidentielle, il dit se résigner à un travail de bureau après l’accident de voiture qui l’a rendu paraplégique en 1986.
Mais, peu à peu, il devient "accro à l’information". Il constitue un réseau d’informateurs chargés de débusquer les "infiltrés" tutsis du Front patriotique rwandais (FPR), rédige des notes transmises directement au président hutu Juvénal Habyarimana, "un homme de paix qui voulait rapprocher Hutus et Tutsis". Les choses se compliquent un peu quand la cour lui demande de décrire son rang dans la hiérarchie du SCR (service central de renseignement). Il affirme n’être qu’un "simple agent" alors que c’est au poste de directeur qu’il a été nommé.
La négation pour ligne de défense
En avril 1992, alors que le Rwanda s’engage dans la voie du multipartisme, un membre de l’opposition devient son supérieur direct. Il dit alors devenir "chômeur". Il assure qu’il conserve son traitement et sa "petite" maison jusqu’en 1994, mais qu’on ne lui donne aucun travail et qu’il ne fait plus qu’écrire des livres car il aime De Gaulle, Chateaubriand et La Fontaine.
Il faut tendre l’oreille pour entendre l’ex-capitaine s’étendre d’une petite voix sur l’organigramme des services de sécurité, citer sans cesse des dates, des noms, des sigles, avant que l’un des avocats des parties civiles ne lui demande s’il était présent lors d’interrogatoires. "Non, je n’ai jamais été présent lors d’interrogatoires", répond-il. "Vous étiez responsable du renseignement, mais ça ne vous intéressait pas d’entendre des suspects ?" "Non, moi je faisais des rapports de synthèse. C’est un cloisonnement normal dans les services secrets."
Pascal Simbikangwa nie également être un militant ou même un sympathisant du parti présidentiel, le Mouvement révolutionnaire national pour la démocratie (MRND). Tous ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs, des victimes d’ "endoctrinement", voire des mythomanes. Même les témoins qui disent l’avoir vu entonner des chants appelant "à tous les tuer" dans des cabarets remplis de militants après des meetings au stade national de Kigali.
"Au Rwanda, les journalistes savent à peine écrire leur nom"
Face à lui, l’avocat général, Bruno Sturlese, commence à perdre son calme et son sourire. Pendant plus d’une heure il met le capitaine face à ses contradictions. "En 1993, vous avez accordé une interview à un journaliste de Reporters sans frontières (RSF) et vous affirmiez que vous aviez le pouvoir de convoquer (...) et d’interpeller les journalistes", affirme-t-il. L’ex-capitaine répond qu’ "il n’a pas le document", provoquant les gestes d’énervement d’Aurelia Devos, vice-procureure du pôle "crimes contre l’humanité", et complète : "J’ai peut-être voulu raisonner les journalistes ... ils étaient à la dérive. En France les journalistes font beaucoup de fautes, mais vous savez, au Rwanda, ils savent à peine écrire leur nom".
"Comment expliquez-vous qu’un simple rédacteur de notes de synthèse bénéficiait d’une escorte rapprochée composée de deux membres de la garde présidentielle ?", poursuit l’avocat général. Là aussi, Pascal Simbikangwa répond longuement, de façon sinueuse, évoquant des opposants, avant de conclure : "Vous ne connaissez pas le contexte rwandais. On tuait facilement à l’époque".
"Un système de défense qui ne tiendra pas longtemps"
À la sortie de cette matinée d’audience, Dafroza Gauthier décrit l’ex-capitaine comme un "homme intelligent et calculateur (...) qui montre bien comment fonctionnait le système Habyarimana". De son côté, Simon Foreman, l’avocat du CPCR, estime que ce système de défense "basé sur la dénégation et le mensonge" ne tiendra pas longtemps car "les témoignages sont solides et les quatre ans d’enquête montrent une responsabilité certaine de Pascal Simbikangwa dans le génocide des 800 000 Tutsis intervenu entre avril et juillet 1994".
Les premiers témoins devraient être appelés à la barre à partir du 17 février.