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La Colombie déclare la guerre aux prédateurs sexuels

En luttant contre les barons de la drogue, la Colombie a permis le développement du tourisme et ouvert ses portes aux prédateurs étrangers. Le pays d'Amérique latine doit faire face à un nouveau fléau : le tourisme sexuel infantile.

Si la prostitution est légale en Colombie, le gouvernement s’est récemment attaqué au fléau qui ronge le pays : la prostitution infantile. À Bogota, une brigade policière spéciale a été créée pour débusquer les touristes s’attaquant aux plus jeunes. La tâche est difficile face à des familles démunies, pour qui la prostitution est parfois vécue comme une sorte de fatalité.

En octobre 2013, Margarita de Jesus Zapata Moreno, une mère de famille issue de la classe populaire, a été arrêtée, alors qu’elle prostituait 12 de ses 14 enfants, et vendait à prix d’or la virginité de ses filles. L’une d’elles, enceinte à 14 ans d’un homme de 51 ans, a dénoncé l’effrayante machination et l’enfer que sa mère lui faisait subir.

Mais c’est Carthagène des Indes, sur la côte caraïbe, qui est la plus touchée par le commerce de la misère. Sa baie immense dans laquelle se jette le Rio Magdalena et son port moderne font de Cartaghène la vitrine dorée de ce pays à la réputation sulfureuse. La haute société colombienne y possède de somptueuses maisons, noyées dans une luxuriance tropicale et parfumée.

Le gouvernement colombien y a même fait construire trois centres de convention afin d’y accueillir les rencontres les plus importantes d’Amérique  latine, comme le forum économique pour l’Amérique Latine en 2010. Mais à l’ombre des hôtels de luxe à 300 dollars la nuit, la misère s’étale.

Un terrain de prédilection pour le tourisme sexuel

Sur les plages de la côte nord, les plus belles et les plus courues du pays, le tourisme sexuel fait rage. Les touristes à la recherche de jeunes en mal d’argent affluent, profitant de la fragilité d’une population, dont 40 % vit sous le seuil de pauvreté.

Le tourisme sexuel, national et international, trouve un terrain de prédilection dans cette ville, qui abrite au-delà de ses remparts, un grand nombre des 4,5 millions de personnes déplacées dans le pays en quasi guerre civile dans plusieurs provinces.

Aidée par l’Unicef et le gouvernement canadien, la fondation Renacer (Renaître) a décidé de tout mettre en œuvre pour faire cesser l’exploitation dont est victime cette jeunesse. "Nous ne pouvons pas laisser ces enfants dans la rue, ici en Colombie, personne ne prend soin de vous quand vous êtes pauvre, perdu, sans ressource. Leur seule chance, c’est nous", explique Irma, l’une des directrices de la fondation. "Ils sont souvent très violents quand ils arrivent, menaçants, ils sont en colère dans le fond. Dans la plupart des cas, on arrive à les sortir de cette misère. Mais les places sont trop peu nombreuses pour les prendre tous", regrette-t-elle.

"La muralla, Soy Yo !"

Dans le quartier La España, dans la banlieue de Carthagène, le foyer de la fondation Renacer accueille en permanence une trentaine de jeunes, tous victimes d’abus sexuels. Certains sont très jeunes, comme Anita, qui ne semble pas avoir plus de 12 ans et tous ne parlent que l’espagnol. Certains répètent des phrases en anglais apprises par cœur pour aguicher les touristes : "Sucky, sucky, sexy, sexy." L’endroit est petit, et ressemble plus à une prison qu’à un foyer, mais il permet de sécuriser un temps ces jeunes. "Les enfants cherchent une porte de sortie, un moyen de se faire de l’argent facilement mais aussi quelqu’un qui s’occupera d’eux" regrette Irma.

Depuis 2008, le projet "La Muralla, soy Yo" [La muraille, c’est moi, NDLR], en référence aux remparts de la vieille ville, tente de faire de chaque habitant travaillant dans le tourisme un rempart contre l’exploitation sexuelle des enfants. En adhérant à ce plan de protection, un hôtel 5 étoiles du centre a accepté de dénoncer tout comportement suspect aux autorités.

En plus de ce pacte, Irma, assistée d’un avocat, fait du porte-à-porte dans cette ville du Nord pour sensibiliser la population à ce fléau, et prévenir des risques encourus par les commerçants qui se rendraient complices de proxénétisme de mineurs.

Premières condamnations, premières victoires

En 2010, c’est un Italien, Paolo Pravisani, qui a été condamné à 16 ans de prison pour pornographie, proxénétisme et relations sexuelles avec un mineur. "C’est un pas important. Cela démontre la bonne volonté des autorités judiciaires qui sont de notre côté", se félicite Mayerlin Perez, une des directrices de Renacer à Carthagène. Car cela n’a pas toujours été le cas. "Soit les coupables n’étaient jamais poursuivis, soit les peines n’étaient pas appliquées.

"Aujourd’hui les choses ont changé et la Colombie détient une législation robuste en matière de droits de l’enfant. Reste que dans certaines parties du pays, les groupes armés paramilitaires ou les guérillas rendent son application impossible, et encouragent eux-mêmes la prostitution des plus jeunes" rapporte Tariq Kahn, représentant de l’agence canadienne pour le développement en Colombie.