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Le Wyoming au cœur de la méga-coupure internet en Chine

La Chine a connu, mardi, une importante coupure internet de plusieurs heures. Pour Pékin, il s’agit d’une cyberattaque ou d’une panne technique. D’autres y voient un incroyable raté de la cybercensure chinoise avec le Wyoming en toile de fond.

Un petit immeuble de bureaux et une maison de briques rouges, tous deux situés dans la ville de Cheyenne au Wyoming, captivent les médias américains spécialisés dans l’Internet depuis mercredi 22 janvier. Aucun de ces deux bâtiments n’héberge pourtant de start-up ambitionnant de devenir le prochain Facebook. Mais ils sont devenus des symboles de ce qui semble être l’un des plus retentissants ratés de la cybercensure chinoise.

Mardi 21 janvier, en effet, la plupart des 500 millions d’internautes chinois ont été privés d’accès au Web pendant plusieurs heures. Une interruption que les spécialistes ont rapidement qualifiée de “la plus importante coupure réseau de l’Histoire”. Pékin a évoqué à la fois la possibilité d’une cyberattaque et une panne technique de grande échelle.

Ces thèses officielles n’ont guère convaincu hors des frontières chinoises. Le site Greatfire.org, spécialisé dans l’analyse de la censure internet en Chine, et le “New York Times” ont été prompts à blâmer un bug généré lors de l'une des fréquentes mises à jour du célèbre système de filtrage internet chinois.

C’est là que les deux modestes bâtiments de Cheyenne entrent en jeu. Selon les spécialistes, les adresses de certains des plus importants portails chinois - comme Baidu ou Weibo - ont été, par erreur, redirigés vers des sites bloqués par la censure chinoise et qui appartiennent, pour certains, à des sociétés hébergées dans cette ville américaine. En clair, lorsqu’un internaute chinois tapait baidu.cn dans son navigateur, il était redirigé vers une adresse IP interdite et détenue par la société Sophidea (spécialisée dans les services internet permettant de surfer anonymement sur le Net).

“Paradis postal”

Il se trouve que la société Sophidea est enregistrée à Cheyenne. Elle a déménagé dans un immeuble de bureaux de la ville il y a quelques mois après avoir été longtemps domiciliée dans la maison d’un quartier résidentiel. D’où une multiplication des articles - dans le "New York Times" (qui a amendé son texte par la suite), le "Washington Post" ou encore Slate - qui se sont gaussés à l’idée que “tout le trafic internet chinois a abouti dans une petite maison ou un immeuble de bureaux de Cheyenne”. Mais en fait, la réalité est encore plus rocambolesque. Aucun serveur ne se trouve physiquement à ces adresses et personne ne sait où ils se trouvent. Il ne s’agit que de'une boîte aux lettres.

Sophidea est, en effet, une des 8000 entreprises qui détiennent une domiciliation postale dans l’immeuble de bureaux de Cheyenne (et auparavant dans la petite maison résidentielle). Elle profite, en fait, d’un service fourni par le Wyoming Corporate Services qui accepte, contre rémunération, de devenir le représentant légal de ces sociétés, leur permettant de taire le nom du réel propriétaire.

Ce système avait été mis au jour par Reuters en 2011. Aux côtés de Sophidea, l’enquête de Reuters avait trouvé une société immobilière appartenant à un ancien Premier ministre ukrainien emprisonné ou encore une entreprise prise la main dans le sac à vendre au Pentagone des contrefaçons de composants de véhicules. À la suite de cet article, la Wyoming Corporate Services a décidé de déménager à quelques pâtés de maison de là, espérant retomber dans l’anonymat. Malheureusement, une probable erreur des grands cyber-censeurs chinois a remis ce “paradis postal” sur le devant de la scène médiatique.