Alors qu’en Suisse les négociations s’annoncent ardues entre les délégations du régime et de l’opposition, sur le terrain un certain dialogue s’est instauré. Et l'on constate des trêves entre rebelles et armée régulière. Éclairage.
Difficile à croire et pourtant le phénomène commence à prendre de l’importance. De véritables trêves ont été conclues entre les rebelles et l’armée régulière dans plusieurs villes de Syrie, la plupart situées dans la province de Damas. Mais des comités de coordination locaux de villes des provinces de Homs et Hama ont également rapporté via les réseaux sociaux avoir conclu ce genre d’accord.
"Oui, il y a bien des trêves en Syrie", confirme à FRANCE 24 une source très bien informée des évènements sur le terrain mais qui a préféré rester anonyme. "Mais ce n’est pas du goût de tout le monde dans l’opposition, certains refusent de le reconnaître", poursuit l’homme. "La plupart des villes où il y a eu ce genre d’accord sont situées autour de Damas et sont bombardés et assiégées depuis de long mois", précise-t-il. La dernière en date a été conclue à Barzé, près de Damas, mi-janvier, mais ce fin connaisseur du terrain cite également pour exemple les bastions rebelles de Douma ou Daraya et d’autres localités proches de Damas située dans la Ghouta orientale.
Dans le cas de Mouadamiyet al-Cham, située à trois kilomètres au sud de Damas, une trêve conclue fin décembre est ainsi venue rompre un siège qui durait depuis plus d’un an et a fait cesser les bombardements quotidiens. Vivres et médicaments ont pu être acheminés vers les habitants. "Ça fonctionne. Depuis la trêve, aucune balle n’a été tirée à Mouadamiet al-Cham", affirme la même source, qui souligne l’importance de l’évènement dans le cas de cette ville qui comptait à l’origine 15 000 habitants dont plus du tiers a fui l’enfer des combats. Ces cessez-le-feu localisés permettent également aux déplacés de pouvoir regagner leur ville d’origine.
Hisser le drapeau officiel syrien, une exigence stratégique du régime
Conclues pour des raisons diverses, le plus souvent humanitaires, elles n’en sont pas moins significatives. Concrètement les rebelles sont priés de remettre leurs armes lourdes aux forces du régime et gardent l’armement léger. En échange, l’armée cesse les bombardements et les laisse responsables de la sécurité du quartier. Les autorités permettent également aux vivres de parvenir à la ville et rétablisse souvent le courant ou l’eau courante. Elles ont également une exigence non négociable et de taille : les rebelles doivent hisser sur la ville le drapeau syrien, que l’opposition a dès le début du soulèvement rejeté et assimilé au pouvoir des Assad, pour en adopter un autre, devenu depuis l’été 2011 celui de la rébellion.
Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO) souligne l’importance stratégique de cette dernière disposition de la trêve. "Hisser le drapeau officiel que les rebelles considèrent comme celui du régime n’est pas uniquement symbolique. En voyant, l’étendard honni, d’autres groupes rebelles sont tentés de venir s’attaquer à la localité", explique-t-il. "Désormais désarmés et vulnérables, ceux qui ont accepté la trêve vont se rapprocher encore plus de l’armée, ce qui aura pour but de rapprocher encore plus du régime ceux qui ont accepté la trêve", poursuit le chercheur.
C’est précisément ce qui s’est passé à Khanasser, bourgade située au nord de Hama. Après de longs mois de bombardements et malgré les désaccords internes à ce sujet, les combattants de la ville ont fini par conclure une trêve avec l’armée. Mais une fois le drapeau officiel hissé, la ville s’est vue assaillir par des membres du Front al-Nosra et a dû demander l’aide de l’armée. Pour Fabrice Balanche, l’exigence de rendre bien visible le drapeau officiel en signe de bonne volonté fait donc partie de la stratégie du régime qui avec ses trêves gagne du terrain, économise ses forces et reprend le contrôle. En outre, il apparaît de cette façon comme incontournable. Les habitants, qui subissaient en plus des bombardements des pénuries d’eau et d’électricité, ont pour certains accueilli avec enthousiasme cet accord, qui a permis le retour de ces denrées de premières nécessité.
Pris entre le marteau et l’enclume
Ce phénomène reste cependant très récent. La montée des groupes djihadistes, EIIL et Front al-Nosra en tête, n’y est pas totalement étrangère. "Au bout de presque trois ans de conflit, les rebelles que l’ont peut qualifier de modérés sont épuisés", remarque Fabrice Balanche, qui rappelle que ces derniers qui étaient soutenus par les Occidentaux ne reçoivent plus d’aide, contrairement aux djihadistes qui restent soutenus par des bailleurs de fonds saoudiens ou qataris. Ils se retrouvent pris entre le marteau et l’enclume : à la merci du régime qui veut remporter la bataille par la force, et des djihadistes, leurs anciens alliés qu’ils combattent depuis maintenant plusieurs mois. Ils ont moins de temps et d’armes pour combattre le régime depuis que de nombreuses factions rebelles se sont unies pour concentrer leur lutte contre les djihadistes qui, selon eux, ont confisqué leur révolution et la desserve.
En outre la décision de rendre les armes lourdes ne s’est pas faite sans débat ou sans résistance. Fin décembre, Abou Malek, un responsable du Conseil local de Mouadamiat al-Cham, rapportait ainsi à l’AFP que les quelques milliers d’habitants encore présents étaient très divisés sur cet accord entre ceux qui jugent que l’important est de nourrir la population alors que d’autres auraient voulu poursuivre le combat contre le régime jusqu’à la victoire et ne pas rendre les armes.
Pour autant, ces trêves qui se multiplient autour de Damas n’en restent pas moins des cessez-le-feu et autant de vies épargnées. Pour Fabrice Balanche, les cas de figure observés peuvent préfigurer d’une partie de la solution à la crise. Selon le chercheur, s’il est certain qu’une action diplomatique internationale est nécessaire, la crise syrienne se résoudra à l’échelle locale.