
Un rapport accuse Damas de tortures systématiques et d'exécutions de masse dans les prison syriennes. Bien que commandé par le Qatar, le document apporte des preuves jugées très solides par les ex-procureurs internationaux qui l'ont rédigé.
C’est l’horreur qui est dévoilée. Selon un rapport rédigé par trois anciens procureurs internationaux, le régime syrien est coupable de massacres et de tortures à grande échelle. Le document se base sur le témoignage d’un homme qui dit avoir déserté la police militaire syrienne et affirme apporter des preuves de crimes de guerre, photos à l’appui. En tout, ce sont près de 55 000 clichés montrant 11 000 cadavres qui étayent le rapport. Tous les corps apparaissent émaciés, certains n'ont plus pas d'yeux, d'autres présentent des signes de strangulation ou d'électrocution, selon le texte de 31 pages.
Commandé par le Qatar, l'un des bailleurs de fonds des rebelles syriens, ce minutieux travail de collecte et de recoupage d’informations a été rendu public lundi 20 janvier sur les sites de la chaîne américaine CNN et du quotidien britannique "The Guardian", qui ne manque pas de souligner que ces révélations surviennent deux jours avant la conférence de paix sur la Syrie dite Genève-2.
Des preuves "impressionnantes"
Les trois anciens procureurs internationaux - Desmond de Silva, qui a présidé le tribunal spécial pour la Sierra Leone, Geoffrey Nice, ancien procureur en chef lors du procès de l'ex-président yougoslave Slobodan Milosevic, et David Crane, qui a inculpé le président libérien Charles Taylor - ont d'abord cherché avec leurs équipes à authentifier les photos qui ont ensuite été soumises à des experts médico-légaux expérimentés. Après un "examen rigoureux", tous trois ont jugé le témoin et ses preuves crédibles.
Désigné par le pseudonyme César, pour des raisons de sécurité, la personne à l'origine de ces preuves, que David Crane qualifie d"’impressionnantes", a expliqué aux experts que son travail pour l’armée syrienne consistait précisément à "prendre des photos des détenus". Il n’a toutefois pas affirmé avoir lui-même été témoin d’exécutions ou de tortures. Selon le rapport, "la procédure prévoyait que quand un prisonnier était tué en détention, on l’emmenait dans un hôpital militaire, là-bas César devait photographier les corps". Cela pouvait aller jusqu’à 50 dépouilles par jour, précise le texte. "Les photographies étaient là d’abord pour permettre de fournir un certificat de décès et également pour s’assurer que l’ordre d’exécuter la personne avait bien été appliqué", a expliqué César.
La procédure exigeait également que chaque détenu tué porte un numéro de référence, selon la branche des services de sécurité dont dépendait sa détention. Une fois les corps photographiés, ils étaient emmenés en rase campagne pour être enterrés.
Vers des poursuites ?
Au terme des enquêtes et autres examens poussés d’authentification des preuves, les trois procureurs sont parvenus à la conclusion qu’ils disposaient “de preuves claires, à même de convaincre un tribunal, des tortures et exécutions systématiques de détenus par les agents du gouvernement syrien". Ils ont ainsi mis le résultat de leur travail à la disposition de l'ONU, des gouvernements et des organisations de défense des droits de l'Homme.
"Nous avons désormais la preuve de ce qui arrive aux disparus en Syrie, explique David Crane. Ce genre de preuves est de celles qu’un procureur espère trouver un jour : nous avons des photos, comportant des numéros qui permettent de retrouver l’identité des morts, nous avons aussi le photographe."
Des preuves qui ne signifient toutefois pas que Bachar al-Assad sera jugé un jour. Si de nombreuses voix s'élèvent pour que le président syrien et des responsables du régime soient traduits devant la Cour pénale internationale (CPI), cette éventualité se heurte toujours à des obstacles de taille. En effet, pour qu’un dirigeant soit traduit devant la justice internationale, il faut que son pays soit membre de la CPI, ce qui n’est pas le cas de la Syrie. Ou alors que le Conseil de sécurité prenne une résolution donnant mandat à la CPI pour poursuivre le chef d'État, or il est probable qu’une telle résolution serait bloquée par Moscou, allié indéfectible de Damas.