Gideon Mukungubila est l’homme qui se cacherait derrière les preneurs d’otage de la radio-télévision publique congolaise lundi. Ce Katangais autoproclamé "prophète" est en lutte contre le président Kabila, qu’il accuse d’être un pantin du Rwanda.
En réaction aux violences à Kinshasa, dans la matinée du lundi 30 décembre, l’armée de la République démocratique du Congo a mené une attaque dans l’est du pays, à Lubumbashi. Une ville du pays minier du Katanga où se trouvent les partisans de Paul Joseph Mukungubila, aussi appelé Gideon Mukungubila.
Le nom de celui-ci a en effet été évoqué comme possible organisateur des attaques de la matinée à Kinshasa : des journalistes de la radio-télévision publique ont été pris en otage. L’aéroport ainsi qu’un camp militaire ont aussi été la cible de tirs nourris. Lors de la prise d’otage, les hommes armés ont déclaré : "Gideon Mukungubila est venu vous libérer de l'esclavage des Rwandais".
Sur sa page Facebook, Paul Joseph Mukungubila a publié un communiqué lundi après-midi afin de "rétablir la vérité". Il impute le début des hostilités aux forces du gouvernement congolais dimanche soir, dans sa ville d’origine, Lubumbashi. "Des enfants, qui distribuaient une lettre ouverte publiée par le Prophète Joseph Mukungubila, ont été interpellés par des forces armées. Ils ont été questionnés sur qui les avait envoyés. Dans cette lettre, le Prophète Joseph Mukungubila a dit la vérité, c’est-à-dire qu’on ne peut pas garder un étranger à la tête du pays", peut-on lire dans le communiqué. Le texte accuse ensuite les militaires d’avoir attaqué la résidence d’un partisan de Mukungubila à l’aube lundi 30 décembre, puis celle de Mukungubila lui-même. "Lors de ces attaques, plusieurs de nos frères ont été tués par balle, d’autres ont été blessés", dénonce-t-il.
it"Les frères se sont soulevés"
"Suite à toutes ces attaques, les frères, se trouvant dans d’autres villes, se sont soulevés pour protester, d’autant plus que ce n’est pas la première attaque menée par les autorités contre le Prophète Joseph Mukungubila. En ce moment-même, l’aéroport de Kindu est entre les mains des frères soutenant le Prophète Mukungubila. Ceux de Kisangani ont pris une partie de la ville et ils continuent", affirme encore le texte. De son côté, le gouvernement congolais avait indiqué plus tôt dans la journée que l’armée avait repris le contrôle de Kinshasa des autres villes attaquées.
Paul Joseph Mukungubila est un personnage énigmatique. Mi-politique, mi-religieux, ce "prophète" autoproclamé serait né le 26 décembre 1947, selon son site Internet. Candidat à l’élection présidentielle de 2006 qui a vu la victoire de Joseph Kabila, son affiche de campagne citait des textes religieux : "Joseph Mukungubila vient rétablir toutes choses avant le retour du Seigneur Jésus [Actes 3 ; 19-21]. Le choix de Dieu, le candidat unique de l’Éternel, dans la terre de prédilection, la RD Congo."
Sur son compte Twitter, il se présente comme "Prophète de l'Éternel, le dernier messager pour toute l’humanité après Jésus Christ et Paul de Tarse, d’après Ésaïe 18:3." Ces mêmes éléments religieux, mélangés à des messages politiques, se retrouvent sur le site Internet qui lui est attribué : "Le ministère de la restauration à partir de l’Afrique noire".
"Gideon Mukungubila est connu à Kinshasa comme un prophète de dieu, qui a toujours condamné ou lancé des attaques verbales contre le pouvoir, explique Adam Shemisi, un journaliste congolais, à FRANCE 24. Il conteste tout ce que le pouvoir en place fait. On se demande comment il a pu mettre en place cette milice pour qu’elle arrive à prendre en otage des journalistes." Pour le moment, les autorités restent prudentes quant à la désignation des coupables. "Nous vérifions l'information, car c'est peut-être une tentative pour nous duper", a ainsi déclaré le ministre de la Communication congolais, Lambert Mende.
L'implication de Gideon Mukungubila remise en cause
Gideon Mukungubila, ancien militaire katangais, est notamment connu pour son hostilité envers l'accord de paix signé ce mois-ci avec les rebelles tutsis du M23 dans l'est de la RDC. Il accuse le gouvernement congolais d'avoir cédé devant les intérêts des Tutsis et les pressions du Rwanda voisin. Dimanche 29 décembre, le président Kabila a pris une décision qui a pu mettre le feu aux poudres : répudier le général John Numbi, le chef de la police congolaise, choisi traditionnellement parmi les Katangais, et le remplacer par un Tutsi, Charles Bisengimana.
Dans une lettre ouverte qui lui est attribuée, datant du 5 décembre 2013, "le prophète" critique le président Kabila pour sa politique jugée trop indulgente envers le M23 : "envisager de négocier et signer un accord avec un M23 vaincu et qui n’existe plus, tout en insistant sur son intégration, est tout simplement inacceptable. Ce sont ces gens qui ont massacré, qui ont égorgé les Congolais et nous le savons très bien que ce sont des Rwandais." Puis le message devient plus direct : "Que la Communauté internationale nous aide à demander aux dirigeants d’évacuer tous ces Rwandais tutsis vers chez eux. Comme je l’avais déclaré l’année écoulée : soit on accepte de devenir colonie rwandaise, soit on se lève pour les bouter dehors."
Interrogé lundi sur l'antenne de FRANCE 24, Cyril Musila, professeur à Kinshasa, reste très prudent sur l'implication de Gideon Mukungubila dans les attentats de la capitale. "On le dit derrière ces attaques coordonnées, mais cela reste difficile à croire car il s'agit de trois attaques simultanées", explique le spécialiste. "D'où lui viennent tous ces hommes et ses moyens? On ne sait pas trop bien. Aurait-il bénéficié de complicités? [...] Peut-être que l'enquête permettra de répondre à ces questions".