Alors que les violences se poursuivent dans la capitale centrafricaine, des milliers d'habitants prennent la fuite. Les musulmans, accusés d'appartenir aux ex-rebelles de la Séléka, sont pris pour cible par les chrétiens, ivres de vengeance.
Le jour s’est levé sur Bangui, jeudi 26 décembre, alors que les tirs ont retenti toute la nuit. Dans la matinée, ils se sont faits plus sporadiques. C’est l’occasion pour de nombreux Centrafricains de fuir une nouvelle fois leurs quartiers. "C’est la troisième fois que nous fuyons, raconte Nelly aux envoyés spéciaux de FRANCE 24 dans la capitale. Nous partons, nous revenons, puis nous devons fuir à nouveau."
Depuis le début du conflit, plus de 200 000 civils ont fui les combats entre les anti-balaka, à dominante chrétienne et hostiles au président Michel Djotodia, et les partisans de celui-ci, les ex-rebelles de la Séléka, en majorité musulmans.
Les 1 600 soldats français et les forces africaines de la Misca quadrillent la ville, mais leur tâche est immense. Jeudi, les quartiers de Gobongo, proches de l'aéroport dans le nord de Bangui, et celui de Pabongo, dans le sud de la capitale, ont été sécurisés. Mais d’autres zones de la ville sont encore en proie aux violences. “Nous sommes abandonnés, nous appelons les forces françaises et la Misca mais ils ne viennent pas”, déplore un habitant.
Tensions intercommunautaires
Face à ce sentiment d’abandon, de plus en plus de Banguissois s’arment pour se défendre eux-mêmes. La querelle politique a pris une tournure confessionnelle : des églises et des mosquées sont prises pour cible. Chaque nouvelle attaque avive les tensions entre les communautés.
Lorsqu’ils sont arrivés dans la capitale, les rebelles de la Séléka, qui ne parlent pour la plupart ni le Sango - la langue locale -, ni le français, se sont logés dans les maisons des musulmans, arabophones, où certains ont entreposé le produit de leurs pillages, faisant d'eux des complices aux yeux des chrétiens.
Les envoyés spéciaux de FRANCE 24 ont rencontré trois musulmans venant d'échapper à un lynchage. Ils étaient accusés par les habitants d’appartenir à la Séléka. Les soldats français doivent à présent les protéger d’une foule ivre de vengeance. "Je ne me suis jamais engagé dans la Séléka", assure pourtant l'un d'entre eux, un bandeau autour de la tête. Et désignant l’un de ses compagnons, il poursuit : "Lui, c’est un chauffeur de taxi moto. Jamais nous n’avons fait partie de la Séléka."
"Ils veulent nous tuer, témoigne le jeune homme à ses côtés. Ils nous ont jeté des pierres. Nous sommes blessés. Ils n’ont rien demandé, ils ont seulement dit : ‘Les voilà ! Les voilà !’ Ils considèrent que tous les musulmans sont des bandits. Mais ce n’est pas le cas, et ce n’est pas le cas non plus pour les chrétiens."
Certains prônent la réconciliation
Malgré l’exode, malgré les violences, certains prônent encore la réconciliation. Dans une tribune publiée par le quotidien français "Le Monde" daté de vendredi 27 décembre, l'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, et l'imam Omar Kobine Layama ont appelé l'ONU à déployer "de toute urgence" une force de maintien de la paix.
À Bangui, certains habitants veulent y croire. "Oui c’est possible, espère une femme interrogée par FRANCE 24. Avec la grâce de Dieu, nous musulmans, nous n’avons pas de problèmes aujourd’hui. Même si ma mère était tuée, si on me demandait pardon, je pardonnerais."
Le CICR ne dispose pas encore d'un bilan complet des morts depuis le début des violences le 5 décembre. Certaines estimations font état d'un millier de personnes tuées à Bangui et en province, dans les attaques des milices anti-balaka et dans les représailles de la Séléka contre la population.
Selon le procureur de la République, qui s'est exprimé devant la presse, 30 corps ont été retrouvés mercredi 25 décembre à Bangui, certains ligotés, d'autres affichant des signes de torture. Mais selon lui, on ne peut pas parler de "charnier", car les 30 corps étaient "éparpillés". Jeudi 26 décembre vers 21h30, les affrontements dans le centre-ville ont fait quatre morts, deux hommes de la Séléka et deux soldats de la Misca appartenant au contingent du Congo Brazzaville, a annoncé la Misca. Alors en attendant la paix, jour après jour, à Bangui, l’exode suit son cours.