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Le limogeage, dimanche, de trois ministres centrafricains marque la volonté de l’exécutif de remettre de l’ordre politique dans un pays en proie au chaos. Mais pour Roland Marchal, chercheur au CNRS, ce coup de semonce peut s’avérer insuffisant.

La décision a surpris les chancelleries à Bangui. Pointé du doigt pour son immobilisme alors que la Centrafrique est en proie à une vague d’affrontements interreligieux, le président de la transition, Michel Djotodia, a limogé, dimanche 15 décembre, trois de ses ministres.

Ont été démis de leurs fonctions par décrets présidentiels : Josué Binoua, à la Sécurité et l’Ordre public, Christophe Bremaidou, aux Finances et au Budget, et Joseph Bendounga, à l’Élevage. Le directeur général du Trésor, Nicolas Geoffroy Gourna Douath, est lui aussi remercié. Selon une "instruction présidentielle", "tous les mouvements sur les différents comptes du Trésor public sont suspendus jusqu'à nouvel ordre".

Ces révocations constituent la première décision politique du numéro un centrafricain depuis l’offensive des milices armées anti-balakas le 5 décembre à Bangui et le début de l'intervention française dans le pays. Bien que les décrets ordonnés par Michel Djotodia n’aient pas été contresignés par son Premier ministre, Nicolas Tiangaye, comme le dispose la charte constitutionnelle, les deux hommes, dont les relations ne seraient pas au beau fixe, auraient tous deux évoqué ces limogeages par téléphone, selon l’hebdomadaire "Jeune Afrique".

"Volonté de remettre de l’ordre"

"Ces décisions correspondent à une volonté de remettre de l’ordre, affirme Roland Marchal, chargé de recherches, spécialiste de l’Afrique au Centre national de recherche scientifiques [CNRS]. Djotodia et Tiangaye savent que s’il n’y a pas de remaniement ministériel, la crise ne sera pas réglée. Ils veulent donner des gages. Mais si les deux se sont mis d’accord, cela montre qu’ils ont voulu faire sauter des fusibles avant que ce ne soit eux qui sautent."

Reste que, officiellement, les ministres limogés ont été démis de leurs fonctions pour leur manque d’implication. "On ne sait pas où ils sont. Ils ne gouvernaient plus", indique-t-on à la présidence. Pis, l’un d’entre eux, le pasteur Josué Binoua est même accusé d’être lié aux violences de début décembre.

D’après les autorités, des armes ont été trouvées à son domicile, mais l’intéressé affirme qu'elles étaient destinées à des agents de la sécurité publique, et assure que toutes sont répertoriées. Le ministre de la Sécurité - équivalent du ministre de l’Intérieur - a été débarqué alors qu’il se trouvait en France, après avoir été exfiltré par l’armée française. "La décision de me démettre ne me surprend pas […] Je ne pouvais pas rester en Centrafrique en raison de menaces sur ma personne", a affirmé à l'AFP cet ancien candidat à la présidentielle de 2005, qui dispose aussi de la nationalité française.

Selon le porte-parole du gouvernement, Christophe Bremaidou a quant à lui été dessaisi de son maroquin en raison de son absence prolongée dans le pays. À Bangui, certains émettent l'hypothèse selon laquelle ce dernier subirait la situation économique catastrophique de l'État centrafricain, constamment au bord de la cessation de paiement. Quant à Joseph Bendounga, il a été jugé trop critique envers le gouvernement.

"Manque de crédibilité"

Le coup de semonce de Michel Djotodia permettra-t-il au pouvoir de reconquérir un peu de leadership ? Dans un gouvernement pléthorique regroupant, conformément aux accords de Libreville signés en mars 2013, l’opposition démocratique, des partisans du président déchu François Bozizé et des membres de l’ex-rébellion de la Séléka, la gestion des affaires demeure difficile. "Vingt-quatre ministres pour un pays au bord du gouffre, c’est beaucoup. Il y a, dans ce gouvernement, une forte représentation politique mais aussi un manque d’expertise dans beaucoup de domaines, où certaines personnes ont été placées. L’équipe gouvernementale souffre d’un manque de crédibilité", observe Roland Marchal.

Pour le chercheur, le coup de balai présidentiel "sont les prémices d’une remise en ordre qui va devoir être plus profonde. À terme, ce cabinet ministériel ne peut pas durer. Une refonte de plus grande envergure devra être opérée." Le besoin de changement à la tête de la Centrafrique semble si impérieux, que d’aucuns se demandent si le président et son Premier ministre assureront bien la transition jusqu’à la tenue d’élections, attendues par Paris à l’automne 2014.

Avant de se rendre à Bangui, le 10 décembre, le président français, François Hollande, n’avait-il d’ailleurs pas déclaré à FRANCE 24 et RFI : "On ne peut pas laisser en place un président qui n'a rien pu faire, voire qui a laissé faire". Des propos qui avaient fait courir la rumeur que la France cherchait à renverser Michel Djotodia. Depuis, ce dernier martèle qu’il bénéficie toujours du soutien de l’ancienne puissance coloniale.

"Changer les deux têtes de l’exécutif serait une décision d’audace que la communauté internationale ne se risquera pas à prendre, estime Roland Marchal. En tous cas, pas la France."