
Elles sont jeunes et moins jeunes, filles ou transsexuelles, exercent la même profession et sont vent debout contre le projet de loi du gouvernement sur la pénalisation du client. Portraits croisés de trois prostituées.
À l'occasion de la manifestation, vendredi 29 novembre, des travailleurs du sexe contre le projet de loi du gouvernement sur la prostitution, FRANCE 24 est allé à la rencontre de trois prostituées, d'horizon et de profil différents. Chacune d'elles porte un regard très personnel sur le plus vieux métier du monde. Portraits.
"La prostitution c'est comme les autres boulots : faut avoir un bon CV pour avoir une bonne place"
Mado* a la gouaille. Insolente et provocatrice, cette Française d’origine camerounaise âgée de 47 ans n’aime pas vraiment que le gouvernement "se mêle de ce qui se passe dans son lit". Exerçant au Bois de Vincennes depuis 12 ans, dans sa "belle" camionnette blanche, avec ses "copines" à quelques pas d’elle, Mado se définit comme une "traditionnelle", une fille libre, sans lien avec les réseaux mafieux, et plutôt épanouie. "Oui, épanouie, insiste-t-elle, je ne suis pas malheureuse […]. Je suis indépendante, je n’ai pas de mac, je n’ai pas peur, et je suis la meilleure maman du monde", lâche cette mère de cinq enfants dans un éclat de rire. Mado porte un regard plutôt bienveillant sur son métier, même si elle reconnaît que les premiers temps furent assez durs. "On ne se fait pas une place comme ça, confesse-t-elle. La prostitution, c’est comme tous les autres boulots : faut avoir un bon CV pour avoir un bon endroit."
En venant vendredi à l’Assemblée nationale pour manifester contre le projet de loi sur la pénalisation du client, Mado espère surtout croiser le fer avec quelques députés. "[Les hommes politiques], on les fait monter dans notre camionnette, et voilà comment ils nous remercient", s’emporte-t-elle, avant de remonter son écharpe, baisser sa capuche sur ses yeux à l'approche des caméras et de prévenir : "Dans mon lit, c’est moi la maîtresse, c’est moi qui commande. Si j’en chope un [député] prochainement, il va voir qui fait la loi dans mon camion."
"Ces députés qui votent contre nous viennent nous voir !"
Sarah n’a pas la même assurance. Un peu à l'écart de la manifestation, elle n'a pas la même ardeur que Mado dans ses propos. La prostitution, c’est un choix, explique cette Colombienne de 36 ans, qui a débarqué en France en 1998. Mais c’est aussi un métier "un peu honteux, un peu mal vu". Surtout quand on est transsexuelle, qu’on maîtrise mal la langue française, et qu’on est loin des siens. "Je n’ai pas dit ce que je faisais à ma mère et à ma sœur. Je n’ai jamais eu le courage. Elle pense que je suis femme de ménage à Paris", explique-t-elle. Sarah travaille au Bois de Boulogne, "de midi à 17 heures, pas de nuit", avec d’autres transsexuels. "Ca va, ici je n’ai jamais eu de problème, on ne m’a jamais maltraitée, jamais violée, se justifie-t-elle, et je gagne bien ma vie, je touche environ 3000 euros par mois." Mais le métier reste "pas facile". "Faire l’amour avec un inconnu, c’est pas toujours bien", lâche-t-elle, avec une naïveté déroutante. Heureusement, à Paris, il y a les "copines" et "de la solidarité malgré ce qu’on pense. C’est pas que de la concurrence entre nous", explique-t-elle.
Il y a toutefois des règles à respecter pour ne pas entrer en guerre avec ses voisines. "On a chacun notre territoire, les trans’ d’un côté, les filles de l’autre", explique-t-elle. Tout comme Mado, Sarah dénonce aujourd’hui l’hypocrisie des députés français. "Ces gens qui votent contre nous viennent nous voir, c’est complètement fou comme position", s'étonne-t-elle. Si la loi passe, Sarah ne sait pas ce qu’elle fera. Elle n’exercera pas la prostitution en Colombie : "là-bas, tu risques de te faire tuer avec ce métier", prévient-elle. "Finalement, peut-être que je pourrais faire des ménages", soupire-t-elle. "Comme ça, moi aussi, j’arrêterai d’être hypocrite avec ma mère."
"La prostitution, ça conserve !"
Jeanne* qui est venue s'asseoir sur le même banc que Sarah, transpire sous son masque blanc. Et s’énerve quand les journalistes s’approchent d’elle, une caméra ou un appareil photo à la main. "C’est quoi leur problème, faire le tapin à 60 ans passés, ça les dépasse ?", s’emporte-t-elle. Jeanne est en effet un peu plus âgée que la plupart des manifestants. Ses cheveux grisonnants trahissent sa maturité. Et attirent le regard. "Je suis plus de première fraîcheur, certes, mais les clients, j’en ai encore !", s'exclame-t-elle en riant. Jeanne est venue à Paris pour soutenir les travailleurs du sexe. Mais depuis la loi sur le racolage instaurée en 2003 sous l’ère Sarkozy, elle a décidé d’aller exercer son métier à la campagne, en Seine-et-Marne. Un pari qui n’est pas risqué, selon elle. "Ici, là-bas, c’est pareil. On pense qu’à la campagne, on a moins recours à nous, c’est une idée fausse", explique-t-elle. Les clients se fidélisent plus vite, au contraire, et reconnaissent sa camionnette qui sillonne les routes.
Du haut de sa soixantaine passée, Jeanne ne regrette donc pas de s’être exilée loin du périphérique parisien. Elle compte encore moins arrêter. "Vous plaisantez, la prostitution, ça conserve !", lâche-t-elle avant d’énumérer le profil de ses clients. "Vous croyez que je vais renoncer à ces petits jeunes qui sont beaux, qui sentent bons et qui sont plein de vitalité, alors qu’ils viennent à moi ?, plaisante-t-elle. Si on les pénalise, non seulement on va décourager nos clients, mais en plus, s’ils sont contrariés, ils risquent d’être moins performants !"
* Les prénoms ont été changés