La présidente brésilienne, Dilma Rousseff, veut obliger les géants du Web à stocker au Brésil les données personnelles qu’ils collectent sur le territoire. Une mesure pour contrôler l’utilisation de ces informations, qui est critiquée de toute part.
Dilma Rousseff se construit une image de pasionaria de la lutte contre la NSA. La présidente brésilienne n’a visiblement pas digéré les révélations de l’ex-consultant de la CIA, Edward Snowden, sur l’espionnage par l’agence américaine. Cette dernière est accusée de s’être interressée de très près à toutes les communications du gouvernement brésilien ou du géant pétrolier national Petrobas.
C’est pourquoi elle a déclaré “l’urgence constitutionnelle” pour un vaste projet de réforme de l’Internet, qui doit être discuté au Parlement cette semaine. Il s’agit d’une version enrichie du “Marco Civil de Internet” [la “constitution de l’Internet” brésilienne], qui traîne depuis des années dans les cartons législatifs du pays, et propose un ensemble de mesures pour assurer certains droits fondamentaux aux internautes. Dans le sillage du scandale des écoutes de la NSA, le gouvernement brésilien y a ajouté, fin octobre, un amendement, qui a déclenché une polémique, dépassant largement les frontières du pays.
Cette nouvelle proposition, soutenue par Dilma Rousseff, imposerait aux géants mondiaux du Web de faire une copie de toutes les données qu’ils collectent sur les internautes nationaux, et de les stocker sur le sol brésilien. Une proposition qui vise à exercer un meilleur contrôle sur l’utilisation faite par ces multinationales des informations personnelles qu’elles détiennent. En effet, si elles stockent des données au Brésil, elles se retrouvent responsables au regard des lois en vigueur dans le pays. Ainsi, les tribunaux pourraient être amenés à statuer sur des affaires, où les Google, Facebook et autres transmettent sur ordre de la NSA des informations, concernant des internautes brésiliens.
Levée de bouclier de Google, Facebook & Co
Un projet qui a fait froid dans le dos des géants du Net. Google, Facebook et d’autres fournisseurs de services Internet ont fait parvenir une lettre au gouvernement brésilien lui demandant de renoncer à une mesure qui “aurait un impact négatif sur l’économie numérique du pays”. Car, pour ces groupes, il s’agit, avant tout, d’une histoire de gros sous.
En effet, cette disposition, si elle était adoptée, les obligerait à établir localement des centres de données. Une opération très coûteuse : le Brésil est le pays sur le continent américain, où construire de telles structures revient le plus cher. Le prix est, en moyenne, de 60,9 millions de dollars [45,4 millions d’euros], contre 48,7 millions de dollars [36,3 millions d’euros] au Mexique, et 40 millions de dollars (30 millions d’euros) aux États-Unis, d’après une étude du cabinet britannique de consultants Frost & Sullivan, cité par le quotidien britannique “Financial Times”. À ce coût, s'ajoute le poids de taxes sur les centres de données, qui sont deux fois plus élevées qu’aux États-Unis.
En clair, cette proposition risquerait “de priver les internautes de services Internet de qualité, fournis par des sociétés américaines et internationales”, prévient Google. Une menace à peine voilée, par laquelle le géant de l’Internet suggère être prêt à couper le robinet à Gmail, YouTube ou encore Google Maps aux internautes brésiliens, plutôt que de payer des dizaines de millions de dollars pour construire de nouveaux centres de données.
Efficace ?
Ces géants du Web sont d’autant plus critiques, que le Brésil est l’un des marchés les plus prometteurs pour eux. Il est déjà le deuxième pays en terme d’abonnées à Facebook et dans le top 5 pour Twitter et YouTube. Ils n’ont donc aucune envie qu’une loi rende leurs affaires sur place plus compliquées et onéreuses.
Mais les multinationales du Net ne sont pas les seules à se montrer hostiles à cette mesure. Des experts en sécurité craignent qu’elle n’améliore seulement à la marge la sécurité de la vie privée. La NSA n’attend pas d’avoir accès aux centres de données pour collecter les informations, souligne la BBC. Les documents fournis par Edward Snowden prouvent, que les espions américains peuvent très bien aussi “écouter” les câbles par lesquels transitent ces informations.
D’autres craignent que cette obligation imposée aux fournisseurs de service Internet soit un coup porté à la compétitivité brésilienne dans le secteur clef des nouvelles technologies. Cette approche “protectionniste” ne serait pas sans rappeler la décision brésilienne, dans les années 1980, de créer une industrie de l’informatique 100 % nationale, craint Carlos Eduardo Lins da Silva, un enseignant à l’institut brésilien du Wilson Center, un centre américain de recherche sur les nouvelles technologies. Une approche, qui avait “plongé le pays dans une sombre décennie en matière d’innovation”, rappelle-t-il au “Financial Times”.