
, correspondante à New York – Les musiciens d’un groupe de rock iranien, qui avaient quitté Téhéran pour chercher l’asile aux États-Unis, ont été retrouvés morts lundi dans leur appartement de Brooklyn, tués par balles.
Ils avaient fui l’Iran pour aller au bout de leur rêve : jouer du rock. Invités en 2010 par le festival SXSW, au Texas, les frères Soroush et Arash Farazmand (respectivement guitariste et batteur) avaient décidé de ne pas rentrer chez eux. Les musiciens avaient demandé l’asile aux États-Unis et commencé à se faire un nom dans les bars grunge de Brooklyn.
En Iran, où jouer du rock est une "activité illégale" jugée contraire à la religion, les Yellow Dogs [Les Chiens jaunes, NDLR] se produisaient dans des garages et dans des caves pour des concerts clandestins. Mais aux États-Unis, leur son post-punk bizarre et leurs paroles exotiques ont été chaleureusement accueillis. En bonne place dans le magazine Rolling Stone, ils ont été invités à jouer aux quatre coins du pays en compagnie des deux autres membres de leur groupe : le chanteur Siavash Karampour et le bassiste Koory Mirz. Il y a trois semaines, le groupe au complet se produisait au fameux Brooklyn Bowl. Sur son site internet, le club décrivait les Yellow Dogs comme un groupe "crépitant de vie, d’esprit, de tension et d’imagination".
Lundi 11 novembre au matin, les deux frères ont été retrouvés morts, tués par balles, en compagnie de leur colocataire et du musicien et compositeur iranien Ali Eskandarian, 35 ans. Leur assassin, Ali Akbar Mohammadi Rafie, ex-membre d’un autre groupe iranien, les Free Keys, s’est donné la mort peu après les faits.
Tués par balles dans leur appartement
Selon le porte-parole de la police, John J. McCarthy, interviewé par le New York Times, Rafie a accédé à l’appartement en passant par les toits. Il avait placé son arme dans un étui à guitare. Il a tout d’abord tiré sur Ali Eskandarian à travers une vitre du salon. Puis dans la poitrine de Soroush, 27 ans, qui était allongé dans son lit. Est ensuite venu le tour d’Arash, 28 ans, atteint à la tête alors qu’il était sur son ordinateur.
Un autre habitant de l’appartement, le street-artiste iranien Sasan Sadeghpourosko, a été touché deux fois, à l’épaule et au coude, mais a survécu. Rafie a défoncé la porte d’un autre appartement de l’immeuble, se retrouvant nez à nez avec Pooya Hosseini, également musicien. Ce dernier s’est battu avec lui et en est sorti indemne. Rafie est alors retourné sur le toit de l’immeuble où il s’est tiré une balle dans la tête.
Ali Salehezadeh, qui était le manager du groupe et habitait dans le même bloc, a expliqué à l’agence Reuters qu’ils avaient coupé tout contact avec Rafie après qu’il eut été exclu des Free Keys pour avoir volé de l’argent. "Lorsqu’il a été viré de son propre groupe, nous avons quasiment rompu toute relation avec lui. Nous n’étions pas vraiment amis avec lui", a déclaré Ali Salehezadeh dans une interview téléphonique depuis le Brésil. Lui-même avait du mal à trouver un motif possible pour ces meurtres. "Je ne sais pas s’il est venu pour eux, pour nous tous, ou pour se venger parce qu’un membre des Free Keys habite avec nous."
Des "bons garçons"
Le bassiste Koory Mirz et le chanteur Siavash Karampour ne se trouvaient pas sur place au moment de l'attaque. Lundi, ils ont posté un message sur la page Facebook du groupe pour annoncer la nouvelle, en remerciant leurs fans pour les nombreux messages de condoléances qui continuaient encore à affluer mardi.
Brian Kiernan Devine Jr., membre d’une équipe de tournage qui a fait un documentaire sur le groupe, se dit "brisé" par la nouvelle. "C’est le groupe de jeunes artistes le plus chaleureux, sincère et idéaliste qu’on ait eu la chance de connaître. Ils sont parvenus à s’échapper d’Iran, ont obtenu l’asile politique à New York pour poursuivre leurs rêves créatifs (…) Tout ça pour être abattus dans leurs lits. C’est incompréhensible. C’est de la folie."
Yanira Lantigua, caissière d’une épicerie du quartier où les jeunes gens allaient faire leurs courses, les qualifie de "garçons charmants et calmes qui n’ont jamais eu un mot de travers". Lundi, vers 1 heure du matin, elle a entendu les hélicoptères de la police survoler le quartier. Ça lui a fait un choc d’apprendre qu’elle connaissait les victimes. "Ils sont venus acheter des sandwiches et du café pas plus tard qu’il y a quelques jours", raconte-t-elle à FRANCE 24. "Les frères étaient inséparables. C’étaient vraiment de bons garçons."
Alireza Tabiban, un expatrié iranien installé à Austin, au Texas, qui les avait rencontrés et les avait vus deux fois en concert, les décrit comme "des garçons très cools qui voulaient juste jouer leur musique et s’amuser". Et d’ajouter que sa famille et ses amis à Téhéran seraient horrifiés par les détails de cette histoire. "Il n’y a pas beaucoup de meurtres par armes à feu [en Iran], puisqu’il est illégal de posséder des armes", explique-t-il à FRANCE 24. Mehdi Saharkhiz, un Observateur de FRANCE 24 qui a rencontré le groupe en 2010 et parlait d’eux avec passion, a tweeté lundi : "C’est l’enfer. Je ne peux toujours pas y croire."
Abattus en pleine ascension
Les Yellow Dogs s’étaient bâti un club de fans solide aux États-Unis et même au-delà. Le dernier membre du groupe à avoir obtenu l’asile aux États-Unis avait reçu ses papiers il y a seulement quelques mois. Les rockeurs prévoyaient une tournée en Europe et en Turquie, où ils espéraient pouvoir se produire devant leur famille et leurs amis. "Nos parents ne nous ont jamais vus jouer !", confiait Soroush Farazmand en avril 2012 dans une interview à eMusic.
Avant de quitter l’Iran, le groupe formé en 2006 à Téhéran apparaissait dans un documentaire sur la scène musicale underground de la capitale iranienne, "Les Chats persans". Le film a remporté le prix spécial du Jury à Cannes, en 2009. Cette même année, dans un reportage de CNN, Siavash Karampour jugeait les membres de son groupe comme "plus proches que [ses] frères."
Dans la dernière interview que Soroush Farazmand a donné avant d’être tué, il expliquait au magazine Vice : "Nous avons décidé de vivre à Brooklyn parce que c’est un endroit où nous pouvons grandir." Leur appartement du 318 East Williamsburg était devenu un lieu de rassemblement pour artistes et musiciens iraniens.
"C’était un petit groupe de punk underground venu d’Iran qui faisait se retourner les têtes", résume leur manager Ali Salehezadeh dans une interview à l’agence Reuters. "Ils disaient toujours ‘Si on veut y arriver, on doit le faire à New York’", rapporte-t-il. "Mais ils n’ont pas eu cette chance."
Adapté par Steven JAMBOT, à Paris.