Humoriste saoudien vivant aux États-Unis, Hisham Fageeh connaît un retentissant succès avec son clip moquant l’interdiction faite aux Saoudiennes de conduire. Portrait d’un jeune comique qui fait de l’absurdité son arme contre l’obscurantisme.
La vidéo est encore loin du record détenu par le "Gangnam Style" du Sud-Coréen Psy (vu plus de 1,8 milliard de fois), mais elle vaut déjà à son auteur une renommée mondiale. Une semaine seulement après avoir posté son désopilant clip "No Woman, No Drive" sur YouTube, le Saoudien Hisham Fageeh est en passe d’atteindre le club des 10 millions de vues.
Un succès fulgurant pour ce jeune humoriste-activiste - comme il se présente lui-même - encore inconnu du grand public internet(ional) il y a 10 jours. Son coup de force ? Avoir détourné avec malice le standard archi-connu de Bob Marley, "No Woman, No Cry", pour moquer le rigorisme du pays qui l’a vu naître, l’Arabie saoudite.
L’air habité et la tête coiffée du keffieh rouge et blanc si prisé à Riyad, l’humoriste reprend, sur la mélodie du fameux tube reggae, les thèses défendues par les autorités wahhabites pour interdire aux Saoudiennes de prendre le volant. "Je me souviens que tu étais installée au fond de la voiture familiale, tes ovaires, alors en sécurité, pouvaient alors faire plein, plein, plein de bébés", entonne, guilleret, Hisham Fageeh en référence à l’argument massue de religieux saoudiens selon lequel la position de conducteur nuit à la fertilité féminine.
À l’origine réalisé pour soutenir l’action d’un groupe de Saoudiennes qui, le 26 octobre dernier, a osé défier les autorités politiques et religieuses en conduisant une voiture, ce détournement est devenu, grâce à son succès, l’une des plus retentissantes et cinglantes critiques de l’obscurantisme saoudien. Pari gagné donc pour le jeune humoriste de 26 ans, dont le "No Woman, No Drive" n’est pas le premier coup d’essai.
À la manière de Borat...
Né à Riyad, dans une "famille conservatrice", comme il l’a confié au site américain The Daily Beast, Hisham Fageeh a en fait découvert ses talents d’amuseur aux États-Unis, où il est parti vivre à l’adolescence. Entre deux cours d’histoire des religions et du Moyen-Orient à l’Université de Floride, où, dit-il, les insultes islamophobes faisaient florès au lendemain du 11-Septembre, le jeune étudiant se délecte des sketches du comique afro-américain Dave Chappelle. Mais ce n’est qu’après une expérience professionnelle au sein du Muslim Public Affairs Council, à Washington, qu’il se lance dans le grand bain du one-man-show sur la scène new-yorkaise.
Grisé par les rires que ses prestations déclenchent, Hisham Fageeh passe à la vitesse supérieure en produisant, avec deux musiciens, eux aussi Saoudiens, une web-série satirique. À la manière d’un Sacha Baron Cohen avec Borat ou d’un Stephen Colbert avec son journal télévisé parodiquement orienté à droite, il y incarne "un Saoudien conservateur et raciste" comme pour mieux brocarder l’absurdité des mœurs de son pays d’origine. Très vite, ces pastilles vidéos trouvent un public. Puis la gloire avec "No Woman, No Drive".
Loin d’avoir choqué ses compatriotes, son coup d’éclat n’a reçu, confie Hisham Fageeh au Daily Beast, "que des témoignages de sympathie", même de la part de grands-mères saoudiennes. "Mon clip a eu des résonances chez les gens. Ça leur a parlé", analyse-t-il sobrement. Nul ne sait, en revanche, si sa facétie à succès est parvenue à dérider les gardiens de la morale qui sévissent en Arabie saoudite, seul pays au monde privant les femmes du droit de conduire une voiture.