Après cinq années de conflit avec la Russie, le nouveau président géorgien souhaite reprendre contact avec Moscou - et ainsi tourner la page du conflit éclair de 2008 qui opposa les deux pays en Ossétie du Sud.
Fin de partie pour Mikheïl Saakachvili. Dimanche 27 octobre, la victoire de l’opposant Giorgui Margvelachvili à l’élection présidentielle, a sonné le glas politique de l’initiateur de la "révolution des roses".
Dix ans après avoir fait table rase de l’ère communiste, précipité la Géorgie dans les bras des Occidentaux, Saakachvili passe donc la main. Sans grande surprise, Margvelaschvili - le "poulain" de son adversaire, le Premier ministre milliardaire Bidzina Ivanichvili -, reprend le flambeau après avoir raflé, dès le premier tour, près de 70 % des voix.
Si une page se tourne, la ligne politique du nouveau gouvernement devrait, elle, ressembler à celle de son prédécesseur, à savoir : intégrer l’Otan et l’Union européenne, et s’affranchir définitivement du giron russe – avec lequel la Géorgie a cessé tout contact diplomatique et commercial depuis la guerre russo-géorgienne de 2008.
Ne pas froisser Moscou
Mais relever ce dernier défi et se réconcilier avec l'ennemi juré relève de la gageure. Depuis la guerre de 2008, en effet, le face-à-face entre les deux pays est particulièrement tendu. Le petit pays caucasien a toujours montré sa réticence à restaurer le dialogue avec son imposant voisin depuis que ce dernier a reconnu l’indépendance de deux républiques séparatistes géorgiennes : l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie – toutes deux pro-russes.
Sous les mandats de Saakachvili, Tbilissi défiait ouvertement Moscou sur ce dossier. Une stratégie que la nouvelle équipe gouvernementale souhaite abandonner. "Les relations sont extrêmement difficiles [avec la Russie]. Mais nous sommes résolus à ce qu'il n'y ait pas d'agression, pas d'actions destructrices de notre part", a déclaré le nouveau président élu, lors d'une conférence de presse.
Le nouveau gouvernement, qui préfère faire profil bas, devra donc s’atteler à un jeu d’équilibriste assez compliqué : essayer de normaliser ses relations avec la Russie tout en gardant un cap politique euro-atlantique.
"La Géorgie n’a que peu de marge de manœuvre"
Est-ce seulement possible ? Il sera compliqué de jouer sur les deux tableaux, estime Sylvia Serrano, spécialiste de la Géorgie au Centre d’études des mondes russes, caucasien et centre-européen (Cerec). Mais surtout, insiste-t-elle, Tbilissi n’a aucun poids dans le conflit qui l'oppose à Moscou. L'ouverture au dialogue et le cheminement vers une réconciliation passeront - s'ils existent un jour - par le Kremlin et non par ce tout petit pays caucasien, explique-t-elle.
"Que l’on soit sous l’ère Sakaachvili ou sous l’ère Margvelaschvili, c’est Moscou qui a les clés en main [d'un point de vue militaire et politique]. La Géorgie n’a que peu de marge de manœuvre pour rétablir le dialogue avec la Russie", précise Sylvia Serrano
L'UE ne pourra pas faire la politique de l'autruche
Dans les faits, donc, la Géorgie est impuissante. "Pourquoi donc la Russie accepterait de céder sur des territoires qui lui sont favorables ?", insiste la spécialiste. De plus, pour Moscou, contrôler le Caucase, c'est s'ouvrir sur le Proche-Orient et sur l'Iran. "Je ne peux pas prédire l’avenir, mais je ne vois pas bien comment Tbilissi pourrait avoir le dernier mot dans ce dossier", ajoute-t-elle.
Comme bouée de sauvetage, Tbilissi s'est jusqu'ici servi de son rapprochement avec l’UE et l’Otan comme un moyen de pression diplomatique. "La Géorgie voulait montrer à son imposant voisin qu’elle peut, elle aussi, avoir des appuis considérables de la communauté internationale".
Mais même Ivanichvili semble conscient de la fragilité de son pays. "Nous [sommes] réalistes sur les possibilités de la Géorgie. Nous cesserons les rodomontades pour reconnaître que le pays est un petit acteur régional dans un environnement très dangereux", écrivait-il dans une tribune publiée par le "Wall Street Journal" en 2012.
Reste que, aussi "faible" soit-elle face à la Russie, la Géorgie pourra compter sur le soutien de l’Union européenne – même discret. Si Bruxelles refuse de prendre ouvertement parti pour ne pas fâcher Moscou, il ne pourra pas toujours fermer les yeux. "L'UE n'a pas intérêt à ce que le conflit dégènère à ses frontières. Tant que la question sécuritaire ne sera pas réglée en Géorgie, Bruxelles sera dans l’impossibilité d’ignorer le pays", conclut la spécialiste.