Le parti communiste cubain a annoncé, mardi, la fusion des deux monnaies ayant cours sur l'île, le peso cubain et le peso convertible. Une réforme longue, lourde, mais indispensable, estime Jean Ortiz, spécialiste de Cuba.
Le projet était sur la table depuis des années déjà, mais l'annonce officielle est tombée mardi 22 octobre, après son approbation par le Conseil des ministres cubain. Le président Raul Castro a annoncé le début du processus de réunification des deux monnaies, qui circulent depuis dix-neuf ans à Cuba : le peso cubain [CUP] et le peso convertible [CUC], à parité avec le dollar, a annoncé mardi le quotidien officiel Granma.
C'est la fin d'un système à deux vitesses, qui dure depuis 19 ans. Analyse du maître de conférences à l’université de Pau, spécialiste de l’Amérique latine et de Cuba, Jean Ortiz.
Le processus d'unification des deux monnaies signe-t-il le début d’une nouvelle ère ?
Jean Ortiz : C’est incontestable. C’est sans aucun doute la réforme économique la plus importante lancée par Raul Castro. Le président cubain est lucide : il a compris que la société cubaine devait se réinventer, car le modèle économique du socialisme à la cubaine est en panne. On est à la fin d’un cycle.
La révolution cubaine n’a jamais été ce qu’elle aurait voulu être. Le lancement du CUC en 1994 par Fidel Castro, pour concurrencer le dollar qui circulait librement à Cuba, a généré de nombreuses inégalités dans la société. D’autant que la crise économique de ces dernières années les a creusées encore plus. Beaucoup de Cubains sont aujourd’hui rémunérés avec des pesos cubains, et doivent s'efforcer d'acquérir des CUC pour s’acheter des produits d’importations, tels que des couches ou du dentifrice.
Les Cubains se réjouissent-ils de cette réforme ?
J.O. : Dans l’ensemble, les Cubains sont favorables à cette réforme, car pour eux, la réalité n’est plus supportable. En même temps, ils sont rassurés de voir que le socialisme à la cubaine tend vers un socialisme au mécanisme de marché, et non à l’économie de marché comme les Occidentaux le souhaiteraient. D’autres Cubains préféraient que le pays se tourne vers un capitalisme à la vietnamienne, ou à la chinoise [société se basant sur une économie fondée sur des règles capitalistes, et un régime autoritaire à dominante communiste, mettant un frein relatif aux libertés d’action des entreprises privées, NDLR]. Dans cette réforme, les seuls perdants seront ceux qui se procurent des devises de façon illégale, ou ceux qui spéculent par le trafic.
Qu'est-ce que ça va changer pour la population ?
J.O. : Cela va relancer l’économie, car la monnaie sera plus forte. Ainsi, le pays augmentera sa production, et réduira ses importations, très élevées aujourd’hui. L’unification de la monnaie va aussi réduire les inégalités qui sont très mal supportées par les Cubains eux-mêmes.
Toutefois, leur quotidien ne changera pas dans l'immédiat, car ce processus sera long. Les Cubains ont des attentes urgentes ; il faut donc aller vite, sans se précipiter… au risque de voir des explosions sociales. Raul Castro le dit lui-même, "il n’y aura pas de thérapie de choc". Le parti cubain veut conduire cette réforme de façon intelligente, en le faisant d’abord dans les entreprises, puis auprès de la population.