
Une rumeur selon laquelle des villes françaises accepteraient d’accueillir des populations noires en provenance de Seine-Saint-Denis, département 93, en échange de subventions gangrène le débat local. Certains maires ont décidé de réagir.
Une rumeur aux relents racistes court en France depuis près de trois ans. Selon ladite rumeur, les maires de certaines villes, telles que Niort, Poitiers ou encore Limoges, auraient signé des conventions avec le département 93, la Seine-Saint-Denis, en région parisienne. Selon le supposé accord : le "9-3" subventionnerait des installations dans les villes susnommées en échange de l’accueil de populations noires.
D’où vient cette rumeur, à qui profite-t-elle ? Personne ne semble le savoir. Du moins, pas officiellement, car d’aucuns pointent les intérêts que peut tirer l’extrême droite à voir se propager ce genre de bruits de couloirs. Depuis trois ans, il n’y a pas véritablement eu de réactions face à ces "On dit". Mais devant la récurrence des accusations, et peut-être surtout face à l’approche des municipales de 2014, les maires sont récemment sortis de leurs gonds, et de leur silence.
"Cela dépasse l’entendement"
À l’image de Geneviève Gaillard, maire de Niort. Cette dernière a porté plainte contre X pour "préjudice causé à l’autorité publique par des assertions mensongères, constitutives d’injures". Sa commune est en effet visée par cette mystérieuse polémique, mais Mme Gaillard s’en défend : elle n’a pas monnayé le transfert de "gens de couleur" à Niort, pas même contre des subventions du département 93. Cette simple évocation la laisse pantoise : "Ça jette un discrédit sur notre travail, et laisse prise à la stigmatisation […] Je suis choquée par ce racisme qui a touché aussi ma vie de famille", tempête-t-elle, en référence à une autre rumeur lui prêtant une vie conjugale avec un Noir.
De son côté, Alain Claeys, maire de Poitiers, a attendu deux ans la goutte d’eau de trop. Et le vase a débordé en juillet dernier : un tag a été inscrit sur un bâtiment de la ville dénonçant un "troc de Noirs contre une passerelle". Il a porté plainte pour outrage à personne chargée d’une mission de service public.
À Limoges, on sème le doute sur le financement d’un centre aquatique. À Tulle, on pointe du doigt le remplissage de centres sociaux, laissés vacants, avec des étrangers, opération qui serait réalisée en échange de dotations accordées à la ville. Vitry-le-François (Marne) et Saint-Quentin (Aisne) allongent encore la liste des villes concernées. Toutes des mucipalités moyennes qui possèdent la même physionomie urbaine changeante, avec des cités populaires de mieux en mieux connectées au centre ville, ce qui expliquerait la plus grande mixité de la population.
Tordre le cou à la rumeur
"Cette rumeur n’a strictement aucun sens, c’est quelque chose qui dépasse l’entendement," commente pour sa part Jean-Pierre Bouquet, maire de la ville de Vitry-le-François. "Cela peut conduire au lynchage de populations pauvres", prévient-il, sur France info.
Le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis a, quant à lui, réagi en pointant le caractère incongru de ces attaques. "Comme si on pouvait imaginer que nos populations étaient des marchandises dont on voudrait se débarrasser", moque-t-il.
L’ancien ministre UMP, Benoist Apparu, adjoint au maire de Châlons-en-Champagne, dans la Marne, est lui aussi éclaboussé. "Il faut casser la rumeur avant que la campagne municipale ne commence", lance-t-il.
Une opération mal engagée si l’on en croit les analyses de Pascal Froissart, enseignant-chercheur et auteur de "La rumeur. Histoire et fantasmes". "Le démenti et l’attaque sont le meilleur moyen pour diffuser une rumeur. On a un effet boomerang", explique-t-il sur les ondes de France info. "Le dépôt de plainte a donc forcément diffusé la rumeur que l’on voulait cacher". Elle n’a donc pas fini de courir.