
C’est l’un des jeux sur Playstation 3 les plus attendus en cette fin d’année. "Beyond : Two Souls" affiche un casting et un budget à la sauce hollywoodienne. À plus d’un titre, il se veut une œuvre digne du cinéma. Quitte à déboussoler les joueurs.
Quand le made in France espère marquer l’histoire du jeu vidéo. "Beyond : Two Soul", développé par le studio parisien Quantic Dream pour la console Playstation 3, est devenu le premier jeu vidéo à avoir été présenté, en avril 2013, en sélection officielle d’un festival de cinéma (Tribeca, à New York). Son créateur et réalisateur, le français David Cage a, en outre, réalisé la prouesse de faire endosser les deux rôles principaux à Ellen Page et Willem Dafoe. Deux poids lourds d’Hollywood, modélisés pour devenir des personnages de jeux vidéos.
Sorti le 9 octobre en magasin, cet ovni vidéoludique "Beyond : Two Souls" a pourtant reçu un accueil mitigé. Rarement un jeu a autant divisé. David Cage s’est-il fourvoyé en proposant un projet trop ambitieux entre cinéma et jeu vidéo dans un joyeux n’importe quoi ? Ou bien a-t-il réussi, comme il l’affirme à FRANCE 24, à “repousser les limites du média jeu vidéo” prenant le risque de destabiliser les joueurs ?
À la recherche de nouveaux publics
Difficile, en effet, de savoir qui, des gamers ou des cinéphiles, va trouver plus de plaisir à suivre les aventures de Jodie Holmes, une jeune femme reliée à une entité invisible et surnaturelle qu’elle appelle Aiden. À travers une vingtaine de chapitres, présentés dans le désordre chronologique le plus absolu, le joueur influe, comme dans un "livre dont vous êtes le héros", sur les choix de vie de Jodie, l’enfant apeurée, l’adolescente perdue, ou encore la jeune femme qui met les pouvoirs de son étrange compagnon surnaturel Aiden au service de la CIA. Ici pas de carnage de méchants à gogo, comme dans tout bon Call of Duty qui se respecte, le joueur fera essentiellement réagir Jodie Holmes, incarnée par Ellen Page, à des situations de la vie quotidienne… ou presque.
it“Nous avons voulu privilégier l’exploration des émotions plutôt que l’action”, souligne David Cage. Traduction : le joueur va devoir décider si l’héroïne doit céder aux avances d’un jeune garçon lors d’une fête d’anniversaire, si elle décide de se venger de son père qui l’a abandonnée ou la manière dont elle gère les relations avec Nathan, le psychiatre qui la suit, et qui est incarné à l’écran par Willem Dafoe.
Un parti pris à même de plonger tout bon joueur dans une terre inconnue, qui peut le désarçonner. Un risque parfaitement assumé par Sony. “Pour nous, c’est une manière d’attirer de nouveaux publics vers la Playstation 3 et le jeu vidéo”, assure à FRANCE 24 Philippe Cardon, directeur de Sony Playstation France. Le géant japonais, avec qui Quantic Dream a signé un contrat d’exclusivité, a donné à David Cage les moyens pour réaliser sa grande œuvre de “narration interactive”, comme il l’appelle.
Doté d’un budget de plus de 20 millions de dollars (14,7 millions d’euros), "Beyond" fait figure de superproduction au regard des standards du cinéma français (budget moyen autour de 4 ou 5 millions d’euros). Il reste néanmoins très loin des grosses machines hollywoodiennes, qui coûtent plutôt 100 millions de dollars (74 millions d’euros).
Plus fort qu’Avatar ?
Mais même les Avatar, Batman et autres têtes d'affiches du box office font pâle figure au regard du travail, qui a permis d’accoucher en trois ans de "Beyond : Two Souls". “Même pour Hollywood, c’est du jamais vu”, insiste Sony. Rien que le script fait près de 2000 pages alors qu’un scénario classique de film dépasse rarement les 200 pages. La faute à l’obligation de prendre en compte les différents choix que le joueur peut faire. “L’histoire peut avoir 23 fins différentes”, précise David Cage.
itLe tournage a également été à un parcours du combattant pour les 140 acteurs. Il a fallu tous les modéliser en ayant recours à la même technique de “performance capture” utilisée dans Avatar. “On a tourné 30 minutes de scène par jour pendant plusieurs mois, alors que sur un film traditionnel, on se contente généralement de quelques minutes chaque jour”, se souvient David Page. “C’était tellement de boulot que cela m’a obligé à repousser les limites du jeu d’acteur, c’était vraiment ça qui était intéressant”, raconte, de son côté, Ellen Page à FRANCE 24.
L’intégralité du jeu a, en outre, été réalisé dans une seule pièce d’environ 100 m², et a été doté de 64 caméras. Privés d'accessoires ou de décors, rajoutés ensuite par ordinateurs, les acteurs, équipés d’une centaine de capteurs, devaient tout imaginer. “C’est une expérience qui ramène aux fondamentaux du jeu d’acteur”, note Willem Dafoe.
itReste que pour certains, le jeu n’est pas à la hauteur de l’aventure humaine et technologique. À force de vouloir jouer sur les deux fronts, "Beyond : Two Souls" serait imparfait aussi bien pour les joueurs, que pour les cinéphiles.Mais pour David Cage, l'important était peut-être ailleurs : prouver que le jeu vidéo peut s’émanciper de tous les codes, qui ont fait cette industrie. Comme le résume le New York Times, “il n’y est peut-être pas parvenu cette fois, mais on ne peut pas s’empêcher d’attendre de jouer à sa prochaine réalisation”.