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Durant le premier semestre 2013, plus de 10 000 Roms ont été expulsés de leur campement de fortune en France, a rappelé mercredi Amnesty International. De tels agissements favorisent l’incapacité d’intégration des Roms, selon l'ONG.

Il n’a pas été épargné. Après les propos tenus cette semaine par Manuel Valls sur les Roms – qu'il a jugés incapable de s’intégrer -, le ministre de l’Intérieur a, sans surprise, été la cible d’Amnesty international lors de la conférence de presse sur "les expulsions forcées des Roms en France", ce mercredi 25 septembre à Paris.

Fin des mesures transitoires

À compter du 1er janvier 2014, les mesures transitoires concernant les Bulgares et les Roumains seront abolies. Ils bénéficieront alors des mêmes droits que les ressortissants d'autres pays de l'Union européenne.

Jusqu'à présent, les ressortissants de ces deux pays européens pouvaient entrer librement sur le territoire français, mais seulement pour des séjours de moins de trois mois. La France, comme d'autres pays membres, leur a imposé des mesures restreignant leur droit au travail : ils devaient détenir un titre de séjour et une autorisation de travail.

"Derrière le discours du ministre se cachent de nombreux et de lourds préjugés", lâche d’emblée John Dalhuisen, le directeur du Programme Europe d’Amnesty International. "Valls se dédouane de ses responsabilités politiques parce qu’il est simplement réticent à développer une politique plus intelligente à leur égard", a-t-il poursuivi. "Nous sommes face à une rhétorique politique construite sur des arguments fantasmés. En fait, nous sommes face à une absence de politique", tacle de son côté, Jean-François Corty, directeur des missions France à Médecins du Monde. Voilà pour l’ambiance générale.

Il faut dire que les préjugés sur les Roms sont légion, rapporte Amnesty International. Certes, leurs installations illégales sur les terrains municipaux entraînent des problèmes de voisinage, de délinquance et d’hygiène principalement, rappelle Marion Cadier, chercheuse et membre de l’ONG qui a mené l’enquête avant de publier le rapport. "Nous sommes parfaitement conscients de tout cela, nous ne nous voilons pas la face, mais ce rapport insiste surtout sur les solutions à mettre en œuvre pour stopper ce cycle infernal qui ne concerne qu’une minorité de Roms", insiste-t-elle.

"La réalité, c’est que les Roms deviennent de plus en plus ‘Français’"

Car non, insiste la chercheuse, ils ne sont pas tous des détrousseurs, des cambrioleurs ou de "pauvres gens" exploités par des réseaux mafieux – un épiphénomène, selon Amnesty. "La droite comme la gauche font de faux constats : ils disent que les Roms ne souhaitent pas se mêler au reste de la population, auraient-ils donc vocation à vivre dans la misère ? La réalité, c’est que ces gens vivent depuis plusieurs années en France, ils deviennent de plus en plus ‘français’, et de moins en moins roumains ou bulgares", insiste John Dalhuisen.

Et non, ils ne sont pas plus nombreux "qu’avant". Depuis plusieurs années, leur nombre sur le territoire français est resté relativement stable, entre 15 000 et 20 000. Leur situation générale, en revanche, se précarise dramatiquement. La faute, surtout, à la multiplication des opérations de démantèlement de camps. Plus ils déménagent, plus ils sombrent dans la précarité, et plus ils sont visibles et –parfois – nuisibles, indique l'ONG.

Selon son rapport, "en 2012 […] 11 982 migrants roms ont été chassés des squats et bidonvilles où ils habitaient, le plus souvent en raison d’une évacuation des autorités. Ce chiffre a fortement augmenté pendant les deux premiers trimestres 2013, atteignant 10 174 personnes, un nombre jamais atteint depuis le début des recensements en 2010 […] Durant les mois de juillet et août 2013, 3 746 Roms ont été expulsés à l’occasion de 39 opérations d’évacuation."

La circulaire du 26 août 2012, un "échec"

Certains d’entre eux ont été expulsés plus de trois fois depuis leur arrivée en France. C’est le cas de Rosalina, qui vit sur le terrain de La Feyssine, à Villeurbanne, depuis presque deux ans. Elle explique avoir été expulsée presque 20 fois depuis 2003. Problème : les propositions de relogement qui découlent de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 [relative à l'expulsion des camps et au relogement] varient de région en région. En effet, ce document n’a pas force de loi et les préfets sont libres de l’appliquer ou non. Ce caractère discrétionnaire a de lourdes conséquences sur la vie des Roms migrants.

"La plupart deviennent des sans-abris. Il faudrait vraiment que la France s’attelle à une vraie politique de relogement pour commencer à solutionner le problème", ajoute John Dalhuisen. La majorité des Roms ne peuvent plus scolariser leurs enfants et font face à des soucis de santé – les campements n’ayant généralement pas accès à l’eau potable. "Évacuer un camp de Roms, c’est déplacer le problème à une commune voisine. Une année après la mise en place de la circulaire du 26 août, le constat est pire qu’en 2012. C’est un échec", souligne Geneviève Garrigos, la présidente d’Amnesty International France.

À l’approche des élections municipales et des européennes, en 2014, l’ONG craint surtout que les Roms deviennent, et ce malgré leur faible nombre, un thème de campagne, ou les boucs émissaires d’une politique sécuritaire "ratée". En 2012, durant la campagne présidentielle, François Hollande avait condamné la pratique des expulsions forcées. "Nous devons trouver des solutions pour concilier des principes du respect de la propriété privée [….] avec le devoir d’intégration de ces populations. Je considère essentiel d’éviter de mettre sur les routes des populations ultra-précaires". Amnesty renouvelle son appel à l’application de cette promesse. Et exhorte le gouvernement à tenter "la pratique de l’humanité".