Nadejda Tolokonnikova, condamnée à une peine de deux ans dans le camp de travail pour femmes n°14, en Mordovie, a entamé une grève de la faim pour dénoncer les conditions inhumaines dans lesquelles sont traitées, selon elles, les détenues.
"Quand ils vous envoient en Mordovie, c’est comme s’ils vous envoyaient à l’échafaud". Dans une lettre transmise à son avocat, Nadejda Tolokonnikova, l’une des trois jeunes femmes du groupe Pussy Riot, raconte l’enfer du camp de travail pour femmes n°14, situé en Mordovie, une République russe abritant une vingtaine de camps. Du temps de Staline ou de Brejnev, on les appelait les goulags. Le terme a changé, mais pas les conditions de détention, à en croire Nadejda.
Dans sa missive, la jeune femme de 23 ans – qui vient d’entamer une grève de la faim – raconte non seulement la pénibilité du travail mais surtout la déshumanisation progressive mise en place par l’administration pénitentiaire pour réduire les détenus à l’état d’esclaves soumis et obéissants. "Ce lundi 23 septembre, je commence une grève de la faim. C’est une méthode extrême mais c’est la seule issue pour moi", écrit-elle en guise de préambule. "Jusqu’au dernier moment on garde espoir, on se dit : ‘Peut-être qu’ils ne m’enverront pas là-bas [en Mordovie] ? Peut-être que tout va se calmer ?’ Rien ne s’est calmé, et à l’automne 2012, je suis arrivée au camp, au bord de la rivière Partsa", poursuit-elle.
Cette introduction, glaçante, ouvre la voie à une succession de terribles anecdotes que la Pussy Riot va coucher sur le papier dans une écriture presque frénétique. Elle y décrit en premier lieu ses relations avec le chef des lieux, le lieutenant-colonel Kupriyanov, un "Stalinien" qui la menace dès son arrivée. "Vous devriez savoir que j’ai brisé des personnalités bien plus fortes que la vôtre", lui glisse-t-il à l’oreille lorsqu’elle demande si ses heures de travail dépasseront les 8 heures quotidiennes prévues par le Code de la prison. "Le Code est une chose, ce qui importe vraiment, ce sont les quotas. Si vous ne les atteignez pas, vous travaillerez plus", lui répond-il.
"Une femme amputée de ses doigts et d’un de ses pieds"
Mais ces quotas, personne ne les atteint jamais. "Si vous montrez que vous savez faire 100 uniformes [dans les ateliers de couture] en un temps imparti, ils vous demanderont d’en faire 120 […] Les quotas augmentent toujours…", déplore-t-elle. Selon son récit, les journées de travail de sa "brigade" commencent à 7h30 pour se terminer à minuit et demi. Plus de 15h de travaux à effectuer en une journée. "Au mieux, nous avons quatre heures de sommeil par nuit et une journée de repos tous les mois et demi". Un rythme intenable que personne n'ose remettre en question.
Des "pétitions" de prisonniers demandant à "travailler les week-ends" circulent même dans le camp. "En réalité, ces pétitions sont écrites sous la menace. C’est l’administration pénitentiaire qui force les détenues à les signer", explique Nadejda. Si l’une des prisonnières se rebelle, les sanctions "non officielles" tombent. Et il en existe tout un arsenal. L’une des plus pénibles se baptise "lokalka", du nom de ce passage clôturé qui relie deux zones du camp. La détenue est forcée d’y rester debout du matin au soir quelle que soit la saison. "Une fois, une femme a eu de telles gelures qu’on a dû lui amputer les doigts et un de ses pieds", raconte la Pussy Riot.
Les autres châtiments consistent surtout à réduire le prisonnier à l’état de bête en le privant, plus ou moins partiellement d’hygiène, de nourriture et de boissons. Parfois même en faisant travailler les prisonnières entièrement nues. Les détenues sont nourries de "pain rassi, de lait largement coupé à l'eau, de semoule avariée et de pommes de terre pourries", explique-t-elle. Et les conditions d'hygiène "sont organisées de telle manière que les détenues se sentent comme des animaux sales et dénués de droits [….] Quand l'égout se bouche, l'urine et les matières fécales remontent dans les salles d'eau. Nous avons appris à déboucher nous-mêmes les canalisations, mais cela ne dure pas longtemps".
"Une gitane a été battue à mort"
"Éternellement privées de sommeil, accablées par les quotas à remplir", certaines femmes ne tiennent pas le coup. L’une d’elles s’est plantée une paire de ciseaux dans la tête. Une autre qui a essayé de s’ouvrir le ventre avec une scie à métaux a été arrêtée, témoigne la Pussy Riot. D’autres ne survivent pas. Car à ces conditions de vie inhumaines sont fréquemment associées des passages à tabac ordonnés par les supérieurs. "Il y a un an, une gitane a été battue à mort. Elle est décédée à l’unité PC-14. L’administration a pu le cacher : la cause officielle de sa mort a été enregistrée comme étant un accident vasculaire cérébral."
Sadisme suprême, le fonctionnement du camp est fait de telle manière que l'anéantissement de l'individu et sa transformation en "esclave silencieux" sont réalisés par les détenues elles-mêmes. Nadejda estime avoir été jusqu'à présent protégée par sa notoriété, mais elle s’inquiète. "Si tu n’étais pas Tolokonnikova, ça fait longtemps qu’on t’aurait défoncé la gueule", lui ont déjà rétorqué d’autres détenues de mèche avec les matons.
Dans un communiqué, l'administration pénitentiaire a rejeté toutes les accusations de Nadejda et affirmé que son avocate Irina Trounova ainsi que son mari Piotr Verzilov avaient tenté d'exercer un "chantage" pour obtenir qu'elle soit affectée à un travail moins éprouvant. Le camp de travail n°14 est un camp "modèle", a déclaré à l'antenne de la radio Echo de Moscou le président d'une commission régionale, Guennadi Morozov, qui, selon des médias, est lui-même un ancien responsable des services pénitentiaires…