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L'Israélien Gitaï et le Québécois Dolan débarquent à Venise

, envoyé spécial à Venise – Les poids lourds ont débarqué à la Mostra de Venise, avec Xavier Dolan en disciple hitchcockien, Amos Gitaï en défricheur inlassable et Terry Gilliam un poil ennuyeux.

La Mostra de Venise ne pouvait pas restée éternellement dans sa bulle, et le débat sur l’opportunité d’une intervention militaire en Syrie a réussi à s’immiscer dans le festival de cinéma.

Les journalistes, tout critique de cinéma qu’ils sont, échangent leurs avis sur la nécessité ou non d’un vote au Congrès américain et au Parlement français, en attendant la prochaine séance de projection.

Au milieu de ces discussions, le dernier opus du cinéaste israélien Amos Gitaï a forcément trouvé un écho particulier. Le réalisateur à la renommée internationale a déjà signé de nombreux films inégaux, entre un "Kadosh" (1999) intime, un film de guerre ("Kipour", 2000) et "Free Zone" (2005) avec la star hollywoodienne Natalie Portman.

Son nouvel essai "Ana Arabia" est un peu didactique, mais visuellement poignant, tourné en une longue séquence très impressionnante de 80 minutes. Il suit l’histoire d’une journaliste israélienne nommée Yael (Yuval Scharf), qui écrit un reportage sur une minuscule enclave à Jaffa, où Arabes et juifs cohabitent.

La caméra se glisse aux côtés de Yael alors que la journaliste visite l’appartement d’une survivante de l’Holocauste, depuis décédée, qui avait épousé un musulman, Youssouf. Le regard d’Amos Gitaï se pose sur le sol, les arbres, le ciel, tandis que la reporter interroge Youssouf, leur fille, et l’épouse juive d’un de leurs fils.

Ce microcosme condense toute l’histoire des relations entre juifs et Arabes, faite d’hostilité, d’amours interdites et d’une passion commune pour une même terre.

Ponctué d’humour, notamment un dialogue amusant sur les soins dentaires, "Ana Arabia" est un exercice de style, admirable mais difficile à aimer pleinement, qui rappelle qu’Amos Gitaï est un cinéaste qui compte.

Xavier Dolan se glisse dans la peau de Hitchcock

Le même jour, un cinéaste plus jeune, le Canadien Xavier Dolan, a dévoilé son dernier film : "Tom à la ferme", un drame psychologique noir et pulpeux, qui marque une nouvelle orientation pour ce jeune réalisateur âgé de 24 ans.

Tom est un jeune homme établi à Montréal (et joué par Xavier Dolan lui-même, dans un attirail hipster-punk et cheveux longs décolorés), qui se rend dans le fin fond du Québec pour les funérailles de son compagnon, Guillaume. Arrivé sur place, il réalise que la mère de Guillaume (merveilleuse Lise Roy), ni aucun de ses proches ne savait que Guillaume était homosexuel.

Le seul à avoir soupçonné quelque chose est le frère aîné, Francis (Pierre-Yves Cardinal), brute épaisse et soupe au lait, qui entraîne Tom dans une course au chat et à la souris chargée d’érotisme et de jeux sadomasochistes.

Pour "Laurence Anyways", son dernier film, Xavier Dolan était accusé d’avoir outrepassé certaines règles de style cinématographique. Ces critiques ne comprenaient pas que Dolan puisse étaler ses émotions dans des séquences baroques – des ralentis appuyés, des couleurs explosives, des compositions hors-cadre.

"Tom à la ferme" est le premier film dont Xavier Dolan n’ait pas écrit le scénario. Il s’est appuyé sur une pièce de théâtre signée Michel Marc Bouchard. Mais ce film n’est pas une simple adaptation théâtrale, et le cinéaste maintient ses élans de spontanéité et de suspense.

Avec quelques éléments inspirés par Alfred Hitchcock et Roman Polanski, "Tom à la ferme" est une histoire d’amour qui touche du doigt tout ce que la pulsion homosexuelle comporte de désir et d’auto-dénigrement.

Xavier Dolan confirme également qu’il est un acteur à part entière, capable d’insuffler de l’humour et un détachement presque froid à son personnage Tom, passant du deuil au désir, de l’orgueil à la furie. Sur le papier, "Tom à la ferme" est un scénario violent et cruel. Xavier Dolan y injecte ce qu’il faut d’émotion humaine. Il est l’un des cinéastes les plus fascinants du moment.

Le flop de Terry Gilliam

Un autre cinéaste fétiche, Terry Gilliam, entrait également dans la course au Lion d’Or, à Venise, avec un “Zero Theorem” dont on dira peu de choses pour épargner le cinéaste.
Le film est un morceau de science-fiction peu digeste, avec Christoph Waltz en génie de l’informatique qui souffre d’un mal existentiel tout en travaillant sur une mission incompréhensible. Il reçoit la visite de la séduisante Bainsley (Mélanie Thierry) et de Bob (Lucas Hedges), fils de son patron (un Matt Damon aux airs penaud).

Terry Gilliam a toujours été plus habile à susciter un fort imaginaire visuel qu’à raconter une bonne histoire. Mais ici, "The Zero Theorem" peine à rassembler un sens de la dramaturgie ou un quelconque plaisir de la mise en espace. Terry Gilliam a pourtant suivi ses recettes préférées : des figurants bizarrement vêtus, des gadgets qui bipent, des angles de caméra dont il s’est fait une spécialité. Le film boîte lourdement et bruyamment. Rien à voir avec le grandiose "Brazil" (1985), avec l’élan narratif de "L’armée des douze singes" (1995) ou même avec le charmant quoique brouillon "Imaginarium du docteur Parnassus" (2009).

Le cinéaste reste l’un des grands visionnaires du cinéma. Il reste à espérer que la prochaine fois qu’il réalise un film, ses visions prennent forme.