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Les monarchies du Golfe, l'Arabie saoudite en tête, ont joint leurs forces de frappe financières et diplomatiques pour soutenir avec vigueur la reprise en main de l'Égypte par l’armée. Décryptage.
Le coup de force sanglant contre les Frères musulmans en Égypte ne les a pas fait reculer. Les monarchies du Golfe, à l’exception du Qatar, cautionnent et soutiennent avec vigueur la reprise en main du pouvoir par l’armée égyptienne, depuis qu’elle a destitué et arrêté le président Mohamed Morsi le 3 juillet. L'Arabie saoudite en tête et les Émirats arabes unis ont joint leurs forces de frappe financières et diplomatiques pour se porter garants du nouveau pouvoir, incarné par le général Abdel Fattah al-Sissi.
Les pétrodollars du Golfe au secours des militaires
L’Union européenne menace de revoir son aide financière pour protester contre le bain de sang en Égypte ? Le Caire n’en a cure, puisque le royaume wahhabite a assuré que les pays arabes étaient prêts à compenser tout arrêt de l'aide occidentale. D’ailleurs, l'Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis ont annoncé, dès le mois de juillet, des aides cumulées de 12 milliards de dollars à l'Égypte, dont 5 milliards de dollars promis par Riyad.
Résultat, ce soutien à la fois diplomatique et financier offre une marge de manœuvre très importante au nouveau pouvoir égyptien pour mater les Frères musulmans, estime Karim Sader, politologue et consultant spécialiste des pays du Golfe. "Si le général Al-Sissi jouit d’un sentiment d’impunité, c’est parce qu’il dispose d’une carte blanche de l’Arabie saoudite et des Émirats du Golfe, à l’exception du Qatar dont la position est plus ambiguë, qui lui offrent le bénéfice d’une aide économique. Celle-ci pourrait se substituer à celle dont voudrait le priver l’UE", explique à FRANCE 24 Karim Sader.
La semaine dernière, le roi Abdallah en personne avait proclamé son appui au pouvoir égyptien "face au terrorisme" et dénoncé "les ingérences" étrangères dans ce pays. Le monarque saoudien a appelé "les Égyptiens, les Arabes et les musulmans à s'opposer à tous ceux qui tentent de déstabiliser le pays". Son ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud al-Fayçal, s’est montré encore plus explicite, en rejetant la responsabilité des violences sur la confrérie et ses partisans.
"Les positions de la communauté internationale (…) donnent l'impression de vouloir couvrir les crimes de ceux qui incendient l'Égypte et tuent leur peuple [en référence aux Frères musulmans, NDLR], voire d'encourager ces parties à poursuivre leur œuvre", a-t-il notamment déclaré, lundi 19 août, à son retour de Paris où il avait rencontré le président François Hollande. "Nous n'allons pas oublier ces positions si elles sont maintenues", a-t-il averti, en les qualifiant de "positions hostiles aux nations arabes et islamiques".
L’opportunité d’en finir avec la confrérie
Perçus comme une menace pour la pérennité des monarchies héréditaires du Golfe et pour la stabilité de leurs sociétés, et ce malgré leur rigorisme religieux, les Frères musulmans sont honnis à cause notamment de leur activisme politique, qui a eu le vent en poupe après le Printemps arabe. "Tétanisées par l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Égypte, les monarchies du Golfe ont tout de suite profité de la crise politique égyptienne, qui a atteint son apogée en juin, pour soutenir le coup d’État militaire, et revenir à l’ordre ancien qui correspondait avec leurs intérêts", note Karim Sader.
Et pour cause, ils avaient l’opportunité, un an après l’arrivée au pouvoir de la confrérie en Égypte, d’encourager sa mise à l’écart afin de démontrer que la gouvernance des "Frères" est vouée à l’échec, et donc de s’assurer qu’elle ne s'exportera pas dans le Golfe. D’un point de vue diplomatique, "c’est un moyen pour la maison des Saoud de restaurer son leadership sur le monde sunnite, un temps éclipsé par l’émergence de la Turquie et du Qatar, à la faveur des révolutions arabes".
Selon Karim Sader, ce soutien s’inscrit dans le cadre de la reconfiguration du Moyen-Orient post-Printemps arabe qui a vu l’émergence des Frères musulmans, et de la lutte d’influence entre le camp islamiste, soutenu farouchement par la Turquie et le Qatar avec plus de prudence, et le camp contre-révolutionnaire incarné par les monarchies du Golfe, qui ne veulent pas entendre parler de la confrérie.
Et de conclure : "Au final, il faut mesurer l’immense enjeu qui se joue en Égypte, qui sert de laboratoire pour l’avenir de la région, à savoir la poursuite ou non du mode de gouvernance des Frères musulmans ou le retour à l’ordre ancien encouragé par Riyad et les monarchies conservatrices du Golfe".