L'Union européenne a décidé d'inscrire l'aile militaire du Hezbollah libanais sur la liste des organisations terroristes. Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe, décrypte pour FRANCE 24 la portée de cette décision.
Les ministres européens des Affaires étrangères ont décidé à l’unanimité, lundi 22 juillet, d'inscrire l’aile armée du Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite libanais, sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne (UE). Cette démarche repose sur les "preuves" présentées par Londres que le parti de Hassan Nasrallah est lié à des actes terroristes perpétrés sur le territoire européen, à l'aéroport de Bourgas en Bulgarie, le 18 juillet 2012, contre un car de touristes israéliens.
Pour comprendre les enjeux de cette décision et ses conséquences, FRANCE 24 a interrogé Khattar Abou Diab, politologue spécialiste du monde arabe et enseignant à l’université Paris-XI.
Peut-on parler d’une branche armée du Hezbollah ? Est-elle dissociable de la direction du parti chiite ?
Khattar Abou Diab : Ce sont les Britanniques qui ont proposé cette formulation, compte tenu du précèdent irlandais avec le groupe indépendantiste de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et le Sinn Fein, qui était sa tribune politique. Ce cas est difficilement applicable au Hezbollah, car ce parti ne fait pas la différence entre sa branche armée et sa branche politique, tout simplement parce qu’il est régi par un commandement unique. Ce commandement est lui-même attaché au principe du "wilayat al-faqih", qui affirme la primauté du religieux sur le politique, ce qui fait que le parti obéit au Guide suprême iranien, Ali Khamenei. Enfin, ce parti sans son bras armé n’est plus le même puisqu’il base tout son discours sur le concept de résistance [contre l'État d'Israël, NDLR]. Par conséquent, la décision de l’UE repose sur une formule allégée, qui laisse des portes ouvertes, notamment pour le dialogue avec le Hezbollah et la communauté chiite du Liban.
Après avoir longtemps hésité, l’UE a fini par prendre cette décision. Pourquoi intervient-elle aujourd’hui ?
K.A.B. : L’UE a parfaitement étudié cette décision, qu’elle a longtemps essayé d’éviter, en résistant à de fortes pressions américaines et israéliennes, deux pays qui ne font pas la différence entre le Hezbollah et sa branche armée. Toutefois, il semble que l’implication du parti chiite en Syrie aux côtés des troupes de Bachar al-Assad a fini par la pousser à prendre une telle décision. Car pour les Européens, qui sont impuissants face à la crise en Syrie, c’est un moyen de pression parmi d’autres et une façon d’envoyer un message au parrain iranien du Hezbollah, et ce à la veille de la reprise, début août, des discussions sur le dossier nucléaire de la République islamique. Côté finance, puisque l’inscription à la liste des groupes terroristes entraîne un gel des avoirs sur le sol européen, cela peut avoir son importance. Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Hezbollah n’est pas exclusivement financé par l’Iran. Certaines de ses transactions en provenance d’Amérique du Sud ou d’Afrique transitent en effet par l’Europe.
Quelles peuvent être les répercussions d’une telle décision pour le Hezbollah et pour le Liban ?
K.A.B. : L’objectif des Européens n’est pas d’isoler le Hezbollah, d’où la mention de sa branche armée uniquement. Le président François Hollande a, en personne, récemment plaidé pour la formation d’un gouvernement libanais représentant toutes les forces politiques du pays. Ce qui inclut le Hezbollah. En outre, soucieux de ménager le Liban, qui ne peut se mettre à dos un parti d’une telle puissance, les ministres européens des Affaires étrangères ont assuré vouloir continuer à dialoguer avec les responsables politiques du Hezbollah. De son côté, le parti de Hassan Nasrallah peut menacer de rompre ses relations diplomatiques avec les pays de l'UE, et de mettre fin à la coopération avec la Finul, les troupes des Nations unies stationnées au Liban-Sud, dans le fief du parti chiite, dont le contingent est notamment composé d’Européens.