La "négligence" et l’"incompétence" des renseignements pakistanais ont permis au défunt chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, de vivre sans problème près d'une décennie au Pakistan, selon un rapport d'enquête diffusé par Al-Jazira.
La chaîne de télévision Al-Jazira a publié dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 juillet sur son site Internet une copie du rapport de la commission d'enquête établie par les autorités pakistanaises dans la foulée de l'assaut, en mai 2011, de commandos d'élite américains des Navy Seals contre la résidence où se terrait le chef d'Al-Qaïda, à Abbottabad, dans le nord-ouest du pays.
"OBL [ Oussama Ben Laden] a été en mesure de rester dans les limites du périmètre d'Abbottabad en raison de l'échec collectif des autorités militaires, des services de renseignement, de la police et de l'administration civile", note le volumineux rapport de 336 pages dont la version préliminaire avait été transmise il y a six mois au gouvernement d'Islamabad mais était restée secrète. Le texte a été rédigé à partir des dépositions de plus de 200 témoins dont des membres de la famille de Ben Laden, des responsables du gouvernement, de l'armée et du renseignement.
De nombreux détails sur la traque, au Pakistan, de Ben Laden par le renseignement américain ont filtré au cours des derniers mois dans les médias, mais il s'agit de la première fois qu'un rapport officiel du Pakistan critique le rôle de l'armée et des services de renseignement locaux. "Cet échec témoigne de la négligence ainsi que de l'incompétence [de l'armée et du renseignement]. Et à un degré indéterminé, il a pu impliquer - ou non - un niveau de complicité important" de la part de l'armée et du renseignement, poursuit le rapport des autorités pakistanaises.
La commission d'enquête pakistanaise, qui insiste sur la "négligence" des autorités locales, estime ne pas être en mesure de prouver qu'il y ait eu complicité de certains éléments renégats de l'armée et des services de renseignement.
Neuf ans au Pakistan, un chapeau de cow-boy pour se cacher
Selon des proches, Oussama Ben Laden est arrivé au Pakistan au printemps ou à l'été 2002, un an à peine après l'assaut des forces occidentales contre l'Afghanistan voisin où il était protégé par le gouvernement des Taliban. Après avoir réussi à échapper à la bataille de Tora Bora, en décembre 2001, il a passé la frontière afghano-pakistanaise et ne l’a plus refranchie. Il est resté neuf ans au Pakistan, pays allié des États-Unis dans leur "guerre contre le terrorisme" mais accusé par des responsables à Washington de jouer un double jeu dans cette affaire.
Le chef d'Al-Qaïda a brièvement séjourné au Sud-Waziristan puis dans les zones tribales pakistanaises de l'agence de Bajaur, avant de rejoindre la vallée de Swat puis la ville d'Haripur, dans le Nord. Au mois d'août 2005, l'homme le plus recherché de la planète a été transféré avec sa famille - nombreuse - dans une résidence d'Abbottabad, verte cité militaire située à moins de 100 kilomètres au nord de la capitale, Islamabad. Il ne sortait pas de l'enceinte de la villa et "portait un chapeau de cow pour éviter d'être repéré depuis les airs [par des drones ou des satellites, ndlr], selon le rapport.
La résidence où a vécu Ben Laden se situait aussi à environ un kilomètre de l'académie Kakul, équivalent pakistanais du West Point américain ou du Saint-Cyr français, une école militaire prisée et très surveillée par les autorités locales. "Que le voisinage, les responsables locaux, la police, les forces de sécurité et les services de renseignement n'aient pas porté attention à la forme étrange de l'immeuble, sa dimension, ses barbelés, l'absence de voitures ou de visiteurs pendant six ans dépasse tout simplement l'entendement", note le rapport pakistanais.
"Ce niveau d'incompétence, pour rester poli, est stupéfiant pour ne pas dire incroyable. Au moins 25 personnes vivaient dans cette maison mais, selon un recensement local, la demeure était inhabitée", tonne le rapport. La thèse selon laquelle Oussama Ben Laden et sa famille ont survécu des années grâce à l'aide d'un réseau minimaliste de soutien, et faisant profil bas, est aussi incongrue", souligne le rapport très attendu des autorités civiles pakistanaises.
"Les États-Unis ont agi comme une bande de voyous"
Juste après le raid du 2 mai 2011 contre le repaire de Ben Laden, le directeur de l'époque de la CIA, Leon Panetta, avait affirmé que Washington n'avait pas informé le Pakistan à l'avance de cette mission par peur de fuites. Cet assaut d'un commando américain en sol pakistanais avait été considéré comme une violation de la souveraineté nationale au "pays des purs". Il s'agit à cet égard d'une "tragédie nationale", voire d'un "acte de guerre américain contre le Pakistan", estime le rapport de la commission pakistanaise. Les États-Unis ont agi comme une bande de voyous", estime la Commission Abbottabad.
Deux ans après ce raid, Oussama Ben Laden reste un sujet tabou pour les autorités pakistanaises qui ont toujours affirmé ne pas avoir été prévenues de cette attaque ciblée contre la tanière du chef d'Al-Qaïda qui a d'ailleurs été détruite l'année suivante.
Avec dépêches