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Les négociations entre l’Europe et les Etats-Unis pour libéraliser leurs échanges ont débuté ce lundi. Les émissaires européens se sont rendus à Washington avec une feuille de route qui établit les limites à ne pas franchir.

C’est une véritable partie d’échecs qui débute, lundi 8 juillet à Washington, entre l’Union européenne et les États-Unis. L’enjeu : faire accepter à la partie adverse ses propres priorités dans ce qui devrait constituer à terme un accord de libre-échange transatlantique (TAFTA/TTIP) visant à créer une des principales zones de libre-échange au monde. L’Union européenne a tenté de mettre Washington sur la défensive en jouant la carte des révélations sur le programme américain d'espionnage Prism, notamment contre les diplomates européens. Mais les États-Unis dispose d’un atout : ils savent précisément où les négociateurs européens ont fixé leurs limites.

“La Commission européenne s'insurge contre les récentes fuites intervenues dans la presse, où s'étale son mandat de négociation”, croit ainsi savoir, ce lundi, le quotidien économique français “Les Échos”. À raison : le document confidentiel, qui circule depuis mi-juin sur Internet, constitue ni plus ni moins la feuille de route des négociateurs européens. A contrario, Bruxelles ignore largement où Washington a placé son curseur.

Les près de 70 négociateurs américains savent ainsi que sur trois points, les Européens leur opposeront une fin de non-recevoir. Le premier est bien connu : il s’agit de la culture. Le point 21 du document européen précise que “les services audiovisuels” sont exclus des négociations. L’accord final ne devra pas non plus entamer la capacité des États européens à “mettre en place des politiques pour prendre en compte les développements dans le secteur culturel, en particulier dans l'environnement numérique”. Une reprise des arguments des Français pour défendre l'exception culturelle.

Service public et propriété intellectuelle

Un autre point concerne les services publics. “Des services fournis dans l’exercice de l’autorité gouvernementale [...] doivent être exclus des négociations”, précise le document. Une libéralisation à la sauce américaine des secteurs de la santé ou encore de l’éducation ne devrait ainsi pas être à l’ordre du jour de ce traité de libre-échange. Une nuance cependant : le mandat de négociation fournit aux représentants des intérêts européens fait référence à la définition de ces services publics par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’institution internationale précise ainsi qu’il n’y a pas de service public si ce dernier poursuit un but commercial ou s’il est en concurrence avec un ou plusieurs acteurs privés. Depuis que cette définition a été formulée en 1994, les débats font rage pour savoir si l’existence de cliniques ou d’écoles privées fait sortir l’éducation ou la santé du domaine des services publics au sens de l’OMC.

Le troisième point non-négociable pour les Européens peut sembler totalement hors de propos dans un accord sur le libre-échange. Il concerne, en effet, les “sanctions criminelles”. Mais pas n’importe lesquelles, puisqu’il s’agit, en fait, des éventuelles sanctions liées à la protection de la propriété intellectuelle. En clair, l’Europe ne veut pas que le traité de libre-échange avec les États-Unis se transforme en super-Acta, du nom de ce traité international de lutte contre la contrefaçon, bloqué par la Parlement européen, et qui avait soulevé, en 2012, une vaste cyber-mobilisation. Acta répondait aux vœux des industries pharmaceutiques et du divertissement (cinéma, musique). Mais les sanctions prévues dans ce texte risquaient, pour ses détracteurs, de freiner le développement des médicaments génériques et de limiter la liberté des internautes sous couvert de lutte contre le piratage de films. Cependant, le fait que l'Union européenne accepte, d'après le document, de négocier les contours d'une protection internationale des droits de propriété fait craindre des dérives liberticides aux défenseurs de la liberté d'expression sur le Net.

Mais cette ligne rouge européenne peut encore évoluer. Le document donne, en effet, le pouvoir à la Commission européenne d’inclure d’autres secteurs. Son président, José-Manuel Barroso - accusé notamment par la France d’être trop libéral - pourrait-il pour autant inclure discrètement la culture ou les services publics dans le cadre des négociations, une fois l’attention médiatique autour de ce traité retombée ? Pas si simple. Un changement de la feuille de route des négociateurs nécessiteraient, en fait, l'accord unanime des membres de la Commission européenne. Sur des questions comme l’exception culturelle, Paris pourrait, si besoin, utiliser son droit de veto.