Liberté, égalité, justice. Tels étaient les mots d’ordre des Égyptiens qui ont renversé Hosni Moubarak, le 11 février 2011. Mais un an après l’arrivée au pouvoir de Mohamed Morsi, les violations des droits de l’Homme restent nombreuses.
À l’occasion du premier anniversaire de l’arrivée de Mohamed Morsi à la tête de l’Égypte, des manifestations hostiles au gouvernement sont prévues, dimanche 30 juin, dans ltout e pays.
Les organisateurs des rassemblements, qui dénoncent la dérive autoritaire du chef de l'État et prêtent aux Frères musulmans, dont il est issu, l'intention d'accaparer tous les pouvoirs, demandent la démission du président. Ils espèrent mobiliser plusieurs millions de personnes.
Les Frères musulmans ont quant à eux appelé à une "mobilisation générale" en soutien au chef de l'État.
Ces manifestations rivales font craindre de nouvelles violences après des heurts entre manifestants pro et anti-Morsi qui ont fait huit morts dans le pays depuis mercredi, dont un Américain.
Le 11 juin, Dimyana Obeid Abd Al-Nour, une professeure copte, a été condamnée à une amende de 11 000 euros pour insulte à l’islam, par un tribunal de Haute-Égypte. Le 3 juin, Ahmed Douma a lui été condamné à six mois de prison avec sursis pour insulte au président. Lors d’une émission de télévision, ce jeune militant a qualifié Mohamed Morsi de "criminel", en référence au massacre de Port Saïd.
Deux exemples, parmi tant d’autres. En 2012, les accusations de blasphème et d’insulte au président ont été les atteintes à la liberté d’expression les plus fréquentes, selon le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’Homme. Lors des six premiers mois de la présidence de Mohamed Morsi, les plaintes pour insulte au chef d'État ont été six fois plus nombreuses que celles déposées pendant les 30 années de règne d’Hosni Moubarak, chassé du pouvoir le 11 février 2011.
"Les droits des femmes régressent"
Si elles tiennent le haut du pavé, ces violations des libertés ne sont pas les seules à avoir été signalées ces derniers mois. Atteintes au droit de manifester, intimidations de journalistes, procès militaires pour des civils… "Il y a davantage de violations des droits de l’Homme que sous Moubarak, affirme Mohamed Zaree, membre de l’Institut du Caire pour les études sur les droits de l’Homme. Dès le premier jour du mandat de Mohamed Morsi, il était clair que la question ne figurait pas sur son agenda."
Fathi Farid partage ce sentiment. Il coordonne Fouada Watch, un mouvement qui s’est donné pour mission d’évaluer l’action du gouvernement en matière de respect des droits de l’homme. Et notamment ceux des femmes. "Les droits des femmes régressent, assure Fathi Farid. Le pouvoir remet en cause tous les acquis. Il veut par exemple abolir la loi qui permettait aux femmes de divorcer. À l’automne, une trentaine d’organisations a remis à la présidence un projet de loi visant à criminaliser le harcèlement sexuel. Nous n’avons eu aucune réponse."
itLe ministre de l’Information, Salah Abdel Maksoud, fait d'ailleurs l’objet de trois plaintes pour harcèlement. Et, depuis le dernier remaniement ministériel, le 7 mai 2013, le gouvernement ne compte plus que deux femmes."Le nouveau régime ne cherche pas seulement à exclure les femmes de toute position ministérielle mais justifie également les violations de leurs droits", dénonce le Centre égyptien pour les droits des femmes.
Le projet de loi sur les ONG cristallise les inquiétudes
Les journalistes, eux aussi, sont aux abois. En un an, plus de 600 plaintes ont été déposées contre des représentants des médias. Le célèbre humoriste Bassem Youssef est l’un d’entre eux. Shaimaa Abou El khair, consultante pour le Comité de protection des journalistes, note un recul en matière de liberté de la presse. "On constate deux types d’attaques, précise-t-elle. Les reporters sont souvent attaqués physiquement lorsqu’ils couvrent des rassemblements. Les rédacteurs en chef, eux, reçoivent des menaces - parfois de mort – et sont accusés d’insulte à l’islam, au président… Ibrahim Eissa, le rédacteur en chef du quotidien "Tahrir", nous a dit avoir passé cette année plus de temps dans le bureau des juges que dans le sien ! "
Stéphanie David, responsable du bureau Moyen-Orient de la Fédération internationale des droits de l’Homme, confirme ce climat délétère. "Il est difficile de dire si la situation est pire que sous Moubarak, précise-t-elle. Je ne sais pas s’il y a davantage de violations des libertés mais il y a clairement davantage de violences. Et par rapport aux attentes nées de la révolution, le constat est terrible. Le pouvoir n’a donné aucun signe positif en matière de droits de l’Homme."
Le nouveau projet de loi sur les ONG est d'ailleurs un nouveau coup dur. C’est lui, aujourd’hui, qui cristallise toutes les inquiétudes. Si le projet est adopté en l’état, l’enregistrement des organisations humanitaires et de défense des droits de l’Homme - qui leur permet de travailler légalement - sera facilité. Mais la loi permettra aussi au gouvernement de contrôler les activités des organisations et leur accès aux fonds étrangers. "Ce texte est profondément répressif et contraire aux obligations internationales de l’Égypte", a dénoncé, entre autres, l’organisation Human Rights Watch.
"Le pouvoir veut taire les peurs"
Pour les militants, ces attaques contre la société civile relèvent clairement de la responsabilité de Mohamed Morsi et des Frères musulmans. Même si quelques plaintes sont déposées directement par la présidence, la grande majorité des plaintes pour blasphème ou insulte au président émanent de citoyens ou d’avocats islamistes zélés.
"Mohamed Morsi soutient les violences à l’encontre de manifestants ou de journalistes par une politique d’impunité envers ceux qui les commettent, affirme Mohamed Zaree. C’est aussi la présidence qui a référé le projet de loi sur les ONG au Parlement. Le pouvoir veut taire les peurs de la société en faisant taire les médias et les défenseurs des droits de l’Homme."
"Les attaques contre des journalistes ont souvent eu lieu après des appels à la violence de leaders islamistes, témoigne aussi Shaimaa Abou El khair. Ils attaquent les médias dans des discours ou sur les réseaux sociaux et les agressions augmentent sur le terrain."
Aujourd’hui, des artistes et des intellectuels se mobilisent eux aussi contre le pouvoir. Depuis le 5 juin, des dizaines d’entre eux occupent le ministère de la Culture pour protester contre le limogeage de plusieurs personnalités du milieu artistique et les menaces qui pèsent sur certaines institutions. Ils dénoncent une volonté du pouvoir de mettre la main sur tous les rouages de l’État.
"Nous sommes vraiment inquiets de ce que va faire ce régime. Il ne se préoccupe absolument pas de la culture et des arts", accuse le peintre Mohamed Abla depuis l’enceinte du ministère. "Attaquer la culture, c’est dangereux, ajoute Nayer Nagui, chef d’orchestre et directeur artistique de l’Opéra du Caire. C’est la culture qui fonde l’identité d’un pays."