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Taïwan : pourquoi la Chine sort l’artillerie lourde pour ses exercices militaires
Frégates, drones, bombardiers, missiles : l’armée chinoise a mobilisé, lundi, tous ses composants pour des manœuvres militaires d’ampleur autour de l’île de Taïwan. Une démonstration de force qui intervient à point nommé alors que la Chine veut mettre la pression sur Taïwan et sur tous ceux qui seraient tentés de soutenir ce territoire qu'elle revendique.

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Un navire chinois participant aux exercices "Mission Justice 2025" simulant un blocus de Taïwan. © Adek Berry, AFP
06:46

C’est d’abord un aigle qui se transforme en drone d’attaque, puis des poissons qui deviennent des frégates et des destroyers, et enfin des loups courant dans la forêt qui se muent en robots-soldats à l’assaut d’une ville ravagée.

Ces saynètes générées par l’intelligence artificielle forment la trame narrative d'une vidéo de propagande publiée lundi 29 décembre par la Chine en amont d’un large exercice militaire autour de l’île de Taïwan.

"Mission Justice 2025"

Ce clip, relayé notamment par le journal China Daily, met en scène une vision déshumanisée et sans victimes d’une invasion chinoise de l’île de Taïwan, que Pékin considère comme une partie intégrante de son territoire national. "Je suppose que les animaux représentent le caractère naturel, presque instinctif de l’opération militaire, tandis que les machines et les armes symbolisent l’aspect contrôlé et précis de l’invasion. Le message est que ce n’est pas un choix politique, mais un processus naturel, inévitable et sans effusion de sang", analyse Simona Grano, directrice de recherche sur les relations sino-taïwanaises à l’université de Zurich.

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Taïwan : pourquoi la Chine sort l’artillerie lourde pour ses exercices militaires
Taiwan © France 24
01:12

Sauf que les manœuvres militaires débutées lundi ne sont pas (encore) une invasion. Elles représentent un vaste exercice pour simuler une telle offensive. Baptisée "Mission Justice 2025", cette démonstration de force mobilise des frégates, des destroyers, des avions de chasse, des bombardiers, des drones et des missiles. Une artillerie lourde pour prouver à "tous ceux qui [à Taïwan et au-delà, NDLR] complotent en faveur de l’indépendance qu’ils seront anéantis lorsqu’ils se heurteront à notre bouclier de la Justice", a annoncé l’armée chinoise.

"Ces manœuvres sont d’autant plus significatives qu’il s’agit d’une opération conjointe des forces terrestres, navales, aériennes et des forces de fusées", note Jonathan Sullivan, spécialiste de politique chinoise et des relations avec Taïwan à l’université de Nottingham.

Ce sont aussi des exercices à munitions réelles, ce qui ne s’était plus produit depuis avril. Mais dans l’ensemble, "l’armée chinoise ne démontre rien qu’elle n’ait déjà démontré auparavant", ajoute l'expert. En effet, Pékin multiplie ces simulations d'attaques grandeur nature sur Taïwan depuis l’été 2022. À l’époque, le premier exercice du genre avait été mené en réponse à la visite à Taïwan de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants américaine, vécue comme une provocation par Pékin.

Depuis, l’armée chinoise tient à démontrer ponctuellement "sa capacité à organiser rapidement un blocus aérien et maritime complet de l’île en préparation d’une invasion [terrestre]", note Zeno Leoni, spécialiste des questions de sécurité chinoise au King's College de Londres. Et régulièrement, "les forces armées chinoises se rapprochent un peu plus des eaux territoriales de Taïwan, ce qui correspond à la tactique d’étranglement progressive mise en place par Pékin", ajoute Simona Grano.

Neuf mois plus tard

Au-delà de l’imposante mobilisation militaire, ces nouveaux exercices sont significatifs car ils interviennent aussi à un moment crucial pour Xi Jinping. "Le contexte géopolitique a beaucoup changé depuis les derniers exercices il y a neuf mois", rappelle Simona Grano. Tout d’abord, "les relations entre la Chine et les États-Unis, particulièrement mauvaises en avril à cause de la guerre de droits de douane, se sont légèrement améliorées après la rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump lors du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (Apec) fin octobre", note Jonathan Sullivan.

Dans ce contexte, les autorités chinoises "ont vécu comme une trahison le fait que Washington ait approuvé l’une des plus importantes ventes d’armes à Taïwan la semaine dernière", précise le sinologue. Pékin s’est ainsi senti obligé de mettre quelques points sur les "i" pour rappeler sa détermination à intégrer à terme Taïwan à son territoire.

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Taïwan : pourquoi la Chine sort l’artillerie lourde pour ses exercices militaires
PARLONS-EN © France 24
45:10

Surtout que Washington n’est pas le seul acteur d’envergure à avoir froissé la sensibilité nationaliste chinoise. Pékin n’a pas non plus apprécié que Sanae Takaichi, la nouvelle Première ministre japonaise, ait affirmé en novembre que tout conflit à Taïwan serait une question de sécurité nationale pour le Japon. "La Chine a perçu cette affirmation comme une menace d’intervention japonaise aux côtés de Taïwan en cas de conflit, ce qu’elle juge inacceptable", affirme Zeno Leoni.

"Certes, il est vrai que du fait de sa proximité avec des îles japonaises, le sort de ce territoire est important pour le Japon. Mais dans le contexte actuel, les déclarations de Sanae Takaichi peuvent apparaître comme maladroites diplomatiquement", précise-t-il.

Selon lui, cette prise de position japonaise sans grande ambiguïté a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Entre les déclarations japonaises et le contrat d’armement américain, "ces ingérences extérieures de plus en plus marquées représentent un revers pour le récit diplomatique chinois qui insiste sur le caractère interne de la question de Taïwan", précise Simona Grano.

Un nouveau commandant militaire

Cette nouvelle démonstration de force chinoise à proximité des ports taïwanais n’est pas qu’un signal envoyé aux puissances étrangères tentées de soutenir fermement Taipei. C’est aussi une manière d’appuyer là où ça peut faire mal à Taïwan. "Ces exercices militaires sont censés fragiliser un peu plus le président Lai Ching-te, qui subit déjà une forte pression interne de la part des partis d’opposition", assure Simona Grano. "Il doit faire face à une procédure de destitution en mai prochain. Or, face à lui, le parti Kuomintang est remis en selle par une opinion publique visiblement lassée par la ligne antichinoise très dure de Lai Ching-te. Ce parti proche de Pékin s’est par ailleurs récemment doté d’une nouvelle présidente – Cheng Li-wun – plus ouvertement prochinoise que son prédécesseur", note Jonathan Sullivan.

"C’est un message aux Taïwanais pour leur dire : 'Voyez ce qui vous attend si vous continuez à soutenir quelqu’un comme Lai Ching-te'", résume Simona Grano.

Enfin, l’armée chinoise a aussi besoin de rassurer et de se rassurer. Ces exercices sont le premier grand test pour Yang Zhibin, nommé en septembre commandant en chef pour le théâtre oriental, qui comprend Taïwan. "C’est l’un des postes les plus sensibles et importants au sein de l’armée chinoise", souligne Zeno Leoni.

Son prédécesseur, Lin Xiangyang, a été accusé de corruption et renvoyé de l’armée, tandis que le commissaire politique pour le théâtre oriental, Liu Qingsong, a purement et simplement disparu depuis plusieurs mois. Un exercice militaire de grande ampleur "permet de montrer au public chinois que le commandement militaire est fort et que la page des scandales a été tournée", affirme Simona Grano.

Et pas seulement à l’opinion nationale. "Les purges de militaires ont entraîné des spéculations en Occident selon lesquelles Xi Jinping était en train de perdre le contrôle de son armée", souligne Jonathan Sullivan. L’organisation de très ambitieuses manœuvres deux mois seulement après l’arrivée d’un nouveau commandant est pour Pékin une manière de dire 'Circulez, il n’y a rien à voir.'"