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La puissante télévision Globo dans la ligne de mire des manifestants

À l’heure où les Brésiliens se révoltent contre la vie chère et les pouvoirs établis dans le pays, la chaîne de télévision GloboTV, propriété d’un tout-puissant groupe de médias, attise la colère des manifestants qui l’accusent de partialité.

En colère notamment contre la hausse des tickets de transports, le coût onéreux des frais médicaux ainsi que le manque d’effectifs dans les hôpitaux, les manifestants brésiliens ont également une autre cible : la télévision Globo. Appartenant au groupe de presse du même nom, immense empire médiatique qui comprend plusieurs chaînes télévisées et quotidiens, la très regardée chaîne de télé est en effet pointée pour sa couverture partiale des évènements de ces derniers jours.

Globo accusé de ne s’intéresser qu’aux violences

"Je suis très heureuse que le peuple se fasse enfin entendre," lâche une habitante de Sao Paulo à FRANCE 24. "En revanche, ce qu’en fait la chaîne GloboTV est révoltant." Alors que la mobilisation, active depuis plus de dix jours au Brésil, se veut pacifiste, les protestataires regrettent l’accent mis par la chaîne sur les violences, qui sont le fait d’une minorité selon eux. "Globo déforme toujours les faits et tente de nuire aux manifestants, en se focalisant sur les actes de vandalisme", explique à l'AFP Leitane Luranque, une contestataire. "En plus, ils sous-estiment toujours le nombre de manifestants", poursuit-elle.

Pour Katarina, une Brésilienne de 28 ans résidant à Sao Paulo, le message véhiculé par la chaîne invite les manifestants à arrêter toute mobilisation. "Leur but est d’étouffer le mouvement afin que la situation redevienne comme avant," confie-t-elle à FRANCE 24, évoquant des liens troubles avec le gouvernement.

Dans les cortèges de manifestants, des slogans opposés à la chaîne de télé ont commencé à apparaître. À Sao Paulo, un journaliste de GloboTV a même été encerclé et conspué par une centaine de manifestants. Ces derniers ont tenté de l'expulser d'un cortège sous les cris de "manipulateur". "La seule fois où on m'a interdit de travailler, c'était pendant la dictature et sous la torture", a commenté l’intéressé après coup. Afin d’éviter toute agression, les employés de Globo évitent désormais les signes permettant de les identifier comme des salariés du groupe.

Un média jugé plus puissant que les gouvernants

La période de la dictature au Brésil, entre 1964 et 1985, a justement laissé des séquelles qui valent, aujourd’hui encore, à la télévision de subir des critiques : l'ancien dirigeant du groupe Roberto Marinho, décédé en 2003, avait été lié au Coup d'État de 1964 et à la dictature militaire qui permit le développement de GloboTV. Mais c’est surtout la grande visibilité de la chaîne, dans un pays où l’analphabétisme est encore fort et où les journaux se vendent peu, et donc son influence, qui pose problème.

Comparé à Citizen Kane, le magnat de la presse inventé par le réalisateur Orson Welles, Roberto Marinho avait le pouvoir d'imposer l'heure à laquelle se déroulaient les matches du championnat brésilien de football afin d'assurer la diffusion de tous ses programmes, notamment les populaires telenovelas.

"On dit parfois que Globo a plus de pouvoirs que les gouvernants," commente Sarah Sanchez, journaliste indépendante basée à Rio. Avec ses moyens faramineux, GloboTV est la seule chaîne capable d’envoyer des hélicoptères pour filmer les manifestations".

Si, selon elle, GloboTV est "de loin la télé de meilleure qualité au Brésil," la journaliste dit néanmoins comprendre le sentiment des "anti-Globo", pense-t- elle, se révoltent contre l’institution que représente la chaîne. "C’est un groupe considéré comme trop puissant, donc les gens s’en méfient," explique-t-elle, précisant que, depuis quelques jours, le discours a totalement changé. "Les journalistes de la chaîne répètent désormais en boucle 'les vandales sont une minorité'."

Ras-le-bol général contre les pouvoirs établis

Selon Deborah Berlinck, correspondante du journal O Globo à Paris contactée par FRANCE 24, GloboTV est prise entre deux feux. "D’une part, les manifestants nous accusent de mettre l’accent sur le vandalisme, et d’autre part, la droite dure nous reproche d’inciter les Brésiliens à descendre dans la rue en soulignant les excès des policiers envers les manifestants," observe-t-elle.

"Le fait est qu’au Brésil, il y a un ras-le-bol général contre le pouvoir établi, donc y compris contre la presse," précise-t-elle, spécifiant que des journalistes de la télévision Record ont également été attaqués lors d'une manifestation, mardi soir, à Sao Paulo. Un camion de transmission a été incendié.

Une méfiance envers la profession qui ne serait d’ailleurs pas propre au Brésil, souligne-t-elle : "La télévision turque a aussi été attaquée récemment par les manifestants de la place Taksim. Eux aussi estimaient que le média ne parlait pas assez du mouvement."